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Chaque soir, Jules Favre rendait compte au Conseil du Gouvernement de la Défense nationale des incidents de la journée et de ses conversations avec Bismarck. Les procès-verbaux les relatent, mais d’une façon très sommaire, même peu exacte. Tout ce qui s’y rapporte à l’armée de l’Est, au général Bourbaki, à Garibaldi, ne doit être accepté qu’avec une extrême réserve et se trouve en contradiction avec les récits de Moritz Busch, secrétaire particulier du Chancelier, témoin scrupuleux jusqu’à la niaiserie, souvent brutal, parfois grossier, écrivant sur l’heure les faits portés à sa connaissance, et dont la sincérité ne paraît pas devoir être mise en doute. En comparant, en combinant le texte officiel des procès-verbaux et le texte familier de : Le comte de Bismarck et sa suite pendant la guerre de France, on parviendra facilement à dégager la vérité. On ne se piquait point, du reste, de discrétion dans les entours du Conseil de la Défense nationale, et plus d’un propos tenu sous mystère fait supposer que les procès-verbaux ont été rédigés de façon à passer, sans inconvénient grave, sous les yeux de la future Assemblée nationale et à ne mécontenter ni les chefs de l’armée, dont on se méfiait, ni le parti extra-révolutionnaire, que l’on redoutait[1].

Je ne donnerai qu’une preuve des indiscrétions qui furent commises dans ces derniers jours d’angoisse, où chacun semblait avoir perdu la tête : ab una disce omnes. Dès le début des négociations, Bismarck avait déclaré qu’il comptait frapper Paris d’une contribution de guerre de un milliard. Jules Favre s’était récrié et s’était refusé à toute discussion à cet égard, prétextant qu’il ne pouvait aborder une question sur laquelle nulle instruction ne lui avait été transmise par le gouvernement qu’il représentait. Le Conseil engagea son plénipotentiaire à tâcher d’obtenir que cette réquisition fût réduite de moitié, le laissant libre, du reste, de subir ces dures conditions, s’il ne parvenait à les faire modifier, sans

  1. Le rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur les actes du Gouvernement de la Défense nationale et les délibérations de ce gouvernement par M. Chaper, membre de l’Assemblée nationale (no 1433, Assemblée nationale, année 1872 : annexe au procès-verbal de la séance du 30 novembre 1872), contient les procès-verbaux des délibérations, mais avec des suppressions dont quelques-unes ne manquent point d’importance. Le texte publié et communiqué à l’Assemblée nationale comporte quarante-deux lacunes que j’ai pu combler, sur mon exemplaire, grâce à une copie manuscrite in extenso que le général Ducrot m’a communiquée.