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TROISIÈME PARTIE

APRÈS LA GUERRE

INTERMÈDE



DEPUIS près d’un an que je n’ai ouvert le portefeuille où sont enfermés les cahiers de mes Souvenirs, plus d’un événement s’est produit qui n’est pas sans importance.

Le président de la République, Jules Grévy, a été proprement mis à la porte, sans qu’il en soit résulté autre chose qu’une réunion plénière de la Chambre des députés et du Sénat dans le château de Versailles. Lorsque le Doge de Gênes avait épuisé son mandat, le Secrétaire de la Seigneurie venait lui faire une révérence et lui disait : « Come Vostra Serenità ha fornito suo tempo, Vostra Eccellenza se ne vadi a casa. » (« Comme Votre Sérénité a fini son temps, que Votre Excellence s’en aille en sa maison. ») Pour faire sortir le père Grévy du palais de l’Élysée, on a mis plus de cérémonie et moins de politesse.

Un vote de l’Assemblée nationale avait renversé M. Thiers ; le maréchal Mac-Mahon s’était volontairement retiré du pouvoir que des tracasseries méditées lui rendaient insupportable ; on se débarrassa de Grévy comme d’un intendant qui a mal rempli son office et qui a manqué à ses devoirs. C’était un bonhomme jurassien, beaucoup plus âgé qu’il ne paraissait l’être, paysan madré, passé maître en l’art de provoquer la chute de ses adversaires et ayant l’air de s’apitoyer sur eux, lorsqu’il les avait culbutés. Il sut contraindre Gambetta, qu’il avait en méfiance, à devenir président du Conseil des ministres et il le fit mettre en minorité à la Chambre aussitôt qu’il le trouva encombrant.

Grévy, dont on avait déjà renouvelé le mandat, serait certainement mort dans le lit présidentiel de l’Élysée, s’il n’avait eu un gendre peu scrupuleux, grand tripoteur d’affaires qui, profitant de ses relations de famille, négociait toute sorte de vilenies et