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combinaison à la France serait le signal d’une révolution nouvelle, le Chancelier répliquait nonchalamment : « La moitié de nos prisonniers est impérialiste, même sans compter la garde impériale ; nous en ferons une armée qui nous servira à mater les mécontents. » Pendant tout le cours des négociations, il joua le même jeu. Il a dit à son confident Bamberger, qui me l’a répété : « Ce pauvre M. Jules Favre, je n’y puis penser sans rire. Lorsqu’il soulevait une difficulté, je lui parlais de Napoléon ; c’était un nom magique ; dès qu’il l’entendait, il se serait fourré dans un trou de souris. »

Les discussions continuaient sur les conditions de l’armistice ; je lis dans les procès-verbaux des délibérations du Conseil : « Elles ont semblé même à plusieurs membres — Favre, Picard, Ferry, Trochu, Simon, Pelletan, Le Flô, Vinoy, Cresson (préfet de Police) — moins cruelles que celles dont on croyait le vainqueur résolu à frapper la France. » Un jour Jules Favre dit à Thiers, qui l’a répété : « Pour me maintenir en esprit de résignation, j’ai relu le texte du traité de Tilsitt, avant de me rendre à Versailles. » Trochu laissait faire, sa force morale semblait n’avoir pas grand succès ; il avoue que, sur 3 000 hommes de garde nationale commandés pour le service du jour, il en est à peine venu trois cents.

Au cours des pourparlers, qui se prolongèrent pendant cinq jours, Bismarck ne recula pas devant une plaisanterie dont l’inconvenance tombe dans l’odieux.

Jules Favre lui avait dit qu’à Paris, le dimanche, sur les boulevards, on voyait les femmes et les enfants se promener. Bismarck, affectant d’être étonné, s’écria : « Des femmes, des enfants ? Je croyais que vous les aviez tous mangés ! » Il y a longtemps que Froissart a dit : « Les Allemands de nature sont rudes et de gros engin. »

À minuit, dans la nuit du 26 au 27, le feu fut suspendu des deux côtés et, pour la première fois depuis plus de quatre mois, les canons furent silencieux. Jules Favre, dans des lettres particulières — destinées au public — gémit, se lamente, n’hésite point à parler de ses larmes et en arrive à déclarer qu’il se méprise. La nécessité était pénible, j’en conviens, mais elle eût été bien moins rigoureuse si le Corps législatif, maintenu en fonctions le 4 Septembre, avait donné une base légale aux négociations que la Russie et l’Angleterre eussent volontiers appuyées, pour nous obtenir des conditions moins sévères.