Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce deuil aurait dû lui être épargné. À Versailles, Jules Favre dit à Bismarck : « À Buzenval, où vingt-cinq bataillons de la garde nationale ont été engagés, il n’y a que « les gens riches » qui se soient battus ; les autres ont fait la soupe et se sont repliés, sans tirer un coup de fusil. » Dès le lendemain, le bruit se répandit à Paris qu’en présence d’un nouvel échec et de l’épuisement des vivres il devenait urgent de conclure un armistice. Dans la journée du 21, la canaille révolutionnaire se concerta, comme si elle eût voulu précipiter l’agonie de la pauvre fille qui mourait de ses misères et de ses blessures.

Le soir, une bande d’émeutiers envahit la prison de Mazas et délivra les détenus du 31 octobre ; Gustave Flourens, qui était au nombre des prisonniers enlevés à la geôle et aux lois, donna ses ordres pour le lendemain. Le 22 janvier, Blanqui et Albert Regnard étaient au « Café de la Garde nationale », situé à l’angle de la place de l’Hôtel-de-Ville ; Delescluze, Arthur Arnould, Cournet, Edmond Levrault étaient rue de Rivoli, chez Lefebvre-Roncier ; Razoua, avec quelques gardes nationaux, se tenait sur la place. Sous prétexte de reprendre les hostilités, de continuer la guerre à outrance et de ne signer la paix qu’à Berlin, en réalité pour s’emparer du pouvoir, les futurs membres de la Commune tentèrent de donner l’assaut à l’Hôtel de Ville. Aux premiers coups de feu tirés contre eux, les insurgés détalèrent, laissant peu de chose sur le pavé[1].

Cette journée eut des résultats lointains qui n’éclatèrent qu’aux dernières heures de la Commune. Le bataillon qui attaqua l’Hôtel de Ville fut le 101e, des environs de la barrière d’Italie ; il avait pour commandant un corroyeur nommé Jean-Baptiste Serizier. Arrêté en flagrant délit d’insurrection, il allait être traduit sur l’heure devant une Cour martiale, réunie par ordre du général de Malroy, lorsque celui-ci fut empêché de donner suite à son projet par le général Le Flô, ministre de la Guerre, qui avait cédé aux prières de Jules Ferry, alors maire de Paris, ou préfet de Police de la Seine[2]. La mort de Serizier, que l’on aurait certainement fusillé, eût épargné bien des victimes, car ce fut

    soldat au 119e de ligne le 18 décembre 1870, fut fait sergent le 4 janvier 1871 et tomba à Buzenval le 19 janvier 1871. (N. d. É.)

  1. Voir ce que j’en ai dit dans Les Convulsions de Paris.
  2. Il était maire de Paris. (N. d. É.)