Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

procès-verbaux des conseils, en admettant qu’on les ait rédigés, ce qui est douteux, mais j’en ai le résumé, qui a été dicté par Jules Brame à Arthur Kratz, au sortir même de la séance. La proposition de l’Impératrice fut écoutée en silence et avec un embarras qui ne put laisser grande illusion. L’attitude de la plupart des ministres était significative, c’était plus que de l’hésitation, c’était une reculade. Jérôme David, l’Almanzor qui avait fait naître tant d’espérances, ne soutint pas son rôle. Il est facile d’être brave en chambre et d’imaginer toutes sortes d’actes héroïques ; mais il est moins aisé d’affronter le danger, de courir au-devant des obstacles et de les vaincre. Il se récusa ; des mesures de violence ne pourraient que produire un mauvais effet et aliéner les cœurs encore attachés à l’Empire. Jules Brame le regarda et dit : « Je ne puis qu’admettre la sagesse de M. le baron David. »

On attendait avec impatience que le ministre de la Guerre, Palikao, formulât son opinion, qui devait avoir du poids pour ses collègues. Il répondit que le Corps législatif ne le gênait pas ; que l’on y votait tout ce qu’il demandait, qu’on ne lui ménageait ni les hommes, ni l’argent, et qu’il ne voyait pas la nécessité d’enlever quelques députés qui faisaient plus de bruit que de mal ; ce serait même imprudent et impolitique ; car, en touchant à la représentation nationale, on risquait de la mécontenter tout entière. Chevreau, ministre de l’Intérieur, spirituel, sceptique et poète à ses moments perdus, déclara, d’un air dégagé, qu’il ne comprenait pas les inquiétudes dont on paraissait tourmenté ; que, quant à lui, il ne voyait rien de désespéré, ni même de bien grave dans la situation, et qu’il serait toujours temps d’avoir recours aux moyens extrêmes, s’il en était besoin. Cette opinion et celle de Palikao entraînèrent celle du prince de La Tour d’Auvergne, de Magne, de Busson-Billault et de Grandperret. L’amiral Rigault de Genouilly répondit simplement : « J’obéirai aux ordres qui me seront donnés. »

L’Impératrice était troublée ; les réponses qu’elle venait d’entendre dissipaient ses rêves et la laissaient en face de la plus poignante des réalités. Brusquement elle interpella Piétri. « Et vous, monsieur le préfet de Police, que pensez-vous ? » Piétri n’aimait point l’Impératrice, dont la futilité lui avait toujours semblé funeste, mais il éprouvait pour l’Empereur un dévouement sans pareil et, de plus, il avait