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immobile, comme l’on disait, interrompit sa partie de bouchon pour les injurier.

Échec devant Paris, c’était un malheur qui n’était plus réparable ; d’autres succédèrent coup sur coup et séparèrent définitivement la France de sa capitale. Le 5 décembre, Orléans fut repris, et la retraite menée par le général Chanzy ne fut qu’une série de combats ; on recula, comme le sanglier, en faisant tête ; le 6, Rouen fut occupé sans coup férir, ou à peu près. La situation était lamentable ; Paris avait été forcé de se renfermer derrière ses murs, et la route par laquelle il comptait rejoindre la province était fermée, tandis que le chemin que la province avait tenté de s’ouvrir, pour pénétrer jusqu’à Paris, était au pouvoir de l’Allemagne. L’incohérence des opérations éclate avec une détestable évidence, et tous les efforts se trouvent paralysés, parce qu’ils sont isolés et, pour ainsi dire, se tournent le dos.

Trochu avait son plan, Gambetta avait son plan, lesquels étaient imposés aux généraux, qui ne les acceptaient qu’à contrecœur et les exécutaient peut-être mal, parce qu’ils les trouvaient défectueux. Il est un général que l’on aurait dû consulter et écouter ; c’est Chanzy, dont les Allemands parlent encore avec une déférence qui témoigne des talents qu’il déploya contre eux ; lui aussi, il avait son plan, mais on ne lui permit jamais d’en tenter l’exécution, et cependant Gambetta disait de lui : « C’est le véritable homme de guerre révélé par les événements. » Pourquoi alors avoir dédaigné ses conseils et ne lui avoir pas remis la fortune de la France ? Je crois bien qu’à cette question la politique et l’ambition personnelle pourraient seules répondre.

Ce plan, Chanzy me l’a longuement expliqué ; j’ai négligé d’en prendre note, j’ai oublié les détails et ne me rappelle que les parties principales, mais je me souviens que la ville de Dreux était, dans l’opération projetée, réservée à un rôle important. Il s’agissait de faire sauter le grand parc allemand, qui était établi à Villacoublay. On eût réuni la plus grande quantité de cavalerie possible et on lui eût confié l’action déterminante. Chanzy était convaincu qu’il aurait réussi ; il me disait : « Ça m’aurait coûté 10 000 hommes, mais ce n’était pas trop payé. » L’opération était-elle praticable ? Je n’en sais rien ; mais en admettant que l’on eût pu la mener à bonne fin, elle était décisive ; les Allemands eussent été contraints de lever le siège de Paris.