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Si ces hommes, plus ridicules encore que méchants, mais toujours funestes, s’étaient consacrés, sans arrière-pensée, à la défense nationale, on pourrait du moins plaider les circonstances atténuantes en leur faveur ; mais il n’en est rien, et beaucoup d’entre eux n’ont vu dans notre défaite que l’occasion de réaliser leurs chimères, de satisfaire leur haine et de ne point refréner leurs convoitises. À Toulouse, à Marseille, on emprisonne les magistrats ; à Grenoble, on ne peut sauver le général Barral qu’en le faisant conduire à la maison d’arrêt, où il arrive meurtri par la foule ; dans le département de la Loire, les sous-préfets de Roanne et de Saint-Étienne conseillent l’expulsion de tous les réactionnaires ; le préfet de la Corrèze réclame la convocation d’une Cour martiale pour condamner les maréchaux et les généraux ; dans l’Ardèche, on exige également des cours martiales, mais contre la réaction seulement ; dans le Cher, on veut faire destituer le général Pothier ; le préfet écrit : « Il n’est que temps de subordonner le militaire au civil. » Dans la Gironde, on déclare que tout est perdu, si l’on n’arrête pas immédiatement Haussmann, Girardin, la maréchale de Saint-Arnaud, Pereire, La Guéronnière et de Parieu[1]. Tous ces gens-là sont pénétrés de la tradition jacobine ; ils voient des traîtres partout et sacrifient la défense du pays à la réalisation de leur rêve politique.

Un écrivain dont les appréciations modérées dénotent un esprit sage, Charles de Mazade, mon confrère à l’Académie française, cherchant la cause persistante de nos désastres, les fait d’abord remonter à l’Empire, puis il ajoute : « Il y a d’autres responsables, ce sont ceux qui ont tout compromis, non pas par absence de patriotisme et de bonne volonté, si l’on veut, mais par présomption, par incapacité, par ignorance. Il y a un autre responsable enfin, c’est cette tourbe de démagogues dont M. de Freycinet ne s’occupait pas, j’en conviens, que M. Gambetta aurait craint de blesser et qui, au moment où la patrie sombrait, passaient leur temps à faire des manifestations loin de l’ennemi, pour réclamer la révocation de tous les généraux, la subordination de

  1. Parieu (Félix Esquirou de), 1815-1886. Membre de la Constituante et de la Législative (1848-1851), ministre de l’Instruction publique (1849-1851), vice-président du Conseil d’État (1855-1870), ministre dans le cabinet du 2 janvier 1870, sénateur de 1877 à 1885. (N. d. É.)