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restée fidèle à Napoléon III ; on le redoutait à Paris aussi bien qu’à Tours, et on s’imaginait que près de lui s’était formé un noyau autour duquel se grouperaient les partisans du régime déchu, que l’on soupçonnait, bien à tort, de vouloir donner l’assaut au gouvernement républicain. Bazaine disparu, son armée disparue, c’était autant d’adversaires de moins avec lesquels on craignait d’avoir à compter. Gambetta était d’autant plus persuadé qu’il se complotait quelque chose de grave entre Bismarck, Bazaine et l’impératrice Eugénie qu’il avait eu connaissance de la mission Régnier, mission des plus étranges ou des plus naïves, et qui reste encore entourée de nuages si impénétrables qu’ils en sont suspects.

Un sieur Régnier avait réussi à traverser les lignes prussiennes et à s’aboucher avec le maréchal Bazaine. Il se donnait comme envoyé par l’impératrice Eugénie. Ses lettres de créance consistaient en une photographie d’Hastings, signée par le Prince impérial. Il demandait que le général Canrobert ou le général Bourbaki se rendît en Angleterre auprès de l’impératrice Eugénie, qui réclamait la présence de l’un d’eux. Canrobert refusa de quitter son corps d’armée ; Bourbaki, commandant en chef de la garde, n’eut point le même scrupule et suivit ce Régnier qui, sans difficulté, le conduisit au-delà des troupes allemandes d’investissement que dirigeait le prince Frédéric-Charles. Bourbaki alla à Hastings, vit l’Impératrice, eut avec elle un entretien qui ne fit naître aucune résolution, revint en Lorraine, ne put obtenir l’autorisation de reprendre son poste à la tête de ses soldats et, désespéré de sa bévue, que l’on pouvait mal interpréter, accourut à Tours se mettre à la disposition de Gambetta.

On ne sait au juste ce qu’était ce Régnier, qui n’était peut-être qu’un aventurier cherchant fortune et mêlant d’importants personnages à une négociation dont son imagination avait fait tous les frais. C’était un homme qui, dit-on, cachait sous des apparences communes une finesse redoutable. Polonais de naissance, agent secret de la Prusse et de la Russie, il eût voulu provoquer une restauration impériale soutenue par Alexandre II, qui ne consentait, sous aucun prétexte, à reconnaître le Gouvernement de la Défense nationale. C’est le 28 septembre qu’il se présenta devant le maréchal Bazaine. Cette date n’est pas sans importance, elle