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remis au hasard des armes, qui, depuis longtemps, en avait décidé. Jules Favre était atterré, Bismarck très contrarié, et Thiers s’en alla désespéré. Ce que l’on peut dire de Thiers, je le sais, et je crois que l’histoire, si elle est impartiale, ne lui sera pas clémente. Il fut brouillon, tracassier, souvent perfide, toujours de l’opposition quand il n’était pas au pouvoir, ce qui suffit à enlaidir son caractère et à faire douter de sa bonne foi. Il ne fut pas sans influence sur des catastrophes qui n’ont pas fait de bien à notre pays ; il ne se mêla que d’une façon indirecte à certains événements, mais il n’est pas loin et son action est saisissable en juillet 1830, en février 1848 et septembre 1870. Ses opinions n’ont eu rien de stoïque et la durée en fut limitée à celle de ses intérêts. Les contradictions abondent et se heurtent parfois, non sans comique, dans son existence ; il sera obligé de prendre les fortifications qu’il a déclarées imprenables, parce qu’il les a faites, et il sera président d’une république, lui qui a solennellement déclaré, du haut de la tribune parlementaire, que toute république est destinée à finir dans le sang ou dans l’imbécillité.

Certes, on en peut rire, et de son vivant les railleries ne lui ont pas été épargnées, mais il demeure respectable et il lui sera beaucoup pardonné, parce qu’il a passionnément aimé la France. Il l’a rêvée grande, forte, respectée au temps de sa fortune, et, lorsqu’elle a fléchi sous le poids de ses fautes et des désastres qu’elle avait attirés sur elle, il a fait des efforts surhumains pour la sauver et pour rendre son sort moins douloureux. Que ceci plaide en sa faveur et lui vaille l’indulgence de l’avenir.