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tard, être pour Paris une catastrophe sans exemple. Maître des bataillons franchement révolutionnaires, cherchant leurs ennemis dans les demeures de la bourgeoisie et non pas aux avant-postes, ils marchèrent vers l’Hôtel de Ville en criant : « À bas les traîtres ! Pas d’armistice ! La guerre à outrance ! »

Je n’ai pas à raconter cette soirée du 31 octobre, qui serait comique si elle n’était pas honteuse ; on se rappelle les membres du Gouvernement de la Défense nationale, le général Trochu et Jules Favre, Jules Simon et Garnier-Pagès et les autres ficelés sur leur fauteuil. Pendant que Gustave Flourens se promène, en grandes bottes, sur la table du Conseil et s’embrouille si bien, au milieu de ses motions, qu’il s’arrête et dit : « Je ne sais plus ce que je voulais dire », il eût pu dire aussi bien : « Je ne sais pas ce que je veux faire » ; et, en vérité, ni lui, ni ses compères, ni ses comparses ne s’en doutaient ; ils se sont emparés de l’Hôtel de Ville, ils ont fait le gouvernement prisonnier et ils sont restés, comme des aliénés qu’ils étaient, à échanger des injures et des menaces avec leurs adversaires. Instinctivement, ils sentaient que la masse de la population était contre eux et ils en étaient paralysés. Ce ne fut qu’une tentative de révolution de palais, à la mode turque et byzantine. Je ne puis que répéter ici ce que j’ai dit ailleurs[1] :

Le dénouement fut ridicule. Ernest Picard s’esquiva spirituellement par une porte dérobée, alla chercher la garde et remit l’Hôtel de Ville à peu près en ordre. Le général Ducrot a dit à l’Assemblée nationale, dans la séance du 28 février 1871 : « Je ne perdrai jamais le souvenir des divisions horribles que les hommes de désordre sont venus apporter à la défense nationale et je me sens bondir le cœur d’indignation à la pensée que le 31 octobre il m’a fallu quitter les Prussiens pour venir à l’Hôtel de Ville et, chose misérable à noter, pas un des chefs de ce parti, si disposé à l’insulte et à l’étalage du patriotisme, ne s’est exposé devant l’ennemi. » À la suite de cette échauffourée, les hommes du gouvernement, qui, sans exception, avaient combattu le dernier plébiscite de l’Empire, firent appel à la population parisienne et en obtinrent un vote de confiance, en vertu duquel ils conservèrent le pouvoir. Ceci prouve qu’en poli-

  1. Les Convulsions de Paris, tome I, chap. premier.