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l’armée assiégée, ne devait viser qu’un seul but : s’établir en Normandie et se tenir prête à marcher sur Paris. Où se rencontrerait-on ? à Vernon, à Mantes, à Meulan ? Qu’importe ! C’est à se réunir sur cette route que tous les efforts devaient converger.

Gambetta partit, laissant Trochu en pleine confiance que nul sacrifice ne resterait inutile, puisque la province et Paris avaient communauté de pensées et agiraient en vue d’une opération déterminée. Trochu était satisfait et ne tarissait point sur Gambetta : « C’est un homme intelligent ; nous nous sommes entendus tous les deux ; on peut compter sur lui. » La première chose que fit Gambetta, lorsqu’il fut arrivé à Tours, fut de chercher l’accès sur Paris par Orléans et Fontainebleau, c’est-à-dire par le côté exactement opposé à celui que lui avait indiqué Trochu. Le choix peut ne point paraître heureux, car, dès le 11 octobre, le général von der Tann, à la tête de ses Bavarois, avait pris la ville d’Orléans. À la question qui lui fut faite à Tours par l’amiral Fourichon : « Avez-vous pris vos dispositions avec le général Trochu ? » Gambetta répondit : « Ah bah ! Trochu est un imbécile, il n’entend rien à la guerre. »

La situation est donc très simple : Trochu et Gambetta n’ont d’autre intention, ne peuvent avoir d’autre but que de se rencontrer, parce que de leur réunion le salut du pays dépendra peut-être ; ils ont convenu de tout ; les explications ont été prolixes et répétées ; or l’un veut sortir par la barrière de Clichy, l’autre veut entrer par la barrière de Fontainebleau, de telle sorte qu’en arrivant Gambetta n’aurait aperçu que le dos de Trochu. Lorsqu’un cheval tire à hue et que l’autre tire à dia, la voiture verse, et c’est ce qui est arrivé. Trochu et Gambetta ont prétendu plus tard qu’ils ne s’étaient point mis d’accord ; si les résultats parurent leur donner raison, la vérité leur donnait tort, car la conférence eut lieu. On fit semblant de les croire et l’on détourna la tête, en rougissant de s’être confié à eux.

Ce malentendu a été funeste ; il s’est prolongé jusqu’au jour où le général Trochu, comprenant enfin que Gambetta ne l’avait pas compris, renversa son plan de bout en bout et livra la bataille de Champigny ; il était trop tard ; quand même il eût passé sur le corps de l’ennemi qui lui barrait la route, il n’eût plus trouvé personne pour lui tendre la main ; la province était en retraite. Je ne pense pas que Paris eût