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j’ai intimement connu, m’a souvent entretenu des faits que je vais raconter.

Pendant son séjour à Londres, il voyait fréquemment un prince de Mecklembourg, — je ne sais lequel, — et de quoi eût-il causé avec lui, si ce n’est de la guerre dont on désirait la fin en Europe, en Allemagne et dans la majeure partie de la population française ? Puisque les élections législatives semblaient ajournées indéfiniment en France, où l’on ne pouvait les faire avec sécurité sur un territoire envahi, ne pourrait-on trouver moyen de les remplacer et de constituer un pouvoir légal qui serait appelé à se prononcer, au nom du pays, sur la question que ni le gouvernement de Paris, ni la délégation de Tours ne semblaient oser ou vouloir aborder ?

Archdeacon eut une excellente idée, qui nous eût évité bien des misères, si elle avait reçu exécution. Il proposa de réunir les conseils généraux en Assemblée nationale dans une grande ville — Bordeaux ou Toulouse — placée en dehors des opérations militaires et de remettre à sa décision les destinées de la France. Le prince de Mecklembourg approuva le projet, qui, selon lui, conciliait toutes les exigences, et se chargea de le faire accepter à Bismarck. Celui-ci, consulté par dépêche télégraphique, se montra favorable à la proposition ; il demanda seulement qu’un article de journal fût fait pour expliquer à l’Allemagne la valeur morale, le mécanisme et la légalité des conseils généraux.

Adrien de Germiny et Clément Laurier s’étaient ralliés à cette combinaison que recommandait Lord Granville[1], mis au fait par le prince de Mecklembourg. L’article fut écrit par Laurier, si je ne me trompe, traduit en allemand et publié dans je ne sais plus quel journal important d’outre-Rhin. On croyait bien avoir enfin découvert une solution pratique pour sortir du gâchis sanglant où l’on risquait de se noyer, mais on avait compté sans Gambetta. Laurier quitta l’Angleterre après deux mois de séjour, rentra en France et arriva le 17 décembre à Bordeaux, où la délégation tenait ses assises. Gambetta était alors à Bourges ; dès qu’il en fut revenu, Clément Laurier lui fit connaître le projet formé à Londres et auquel Bismarck avait donné son adhésion.

Gambetta y répondit, le 25 décembre, pendant que les

  1. Alors ministre des Affaires étrangères (voir page 149, n. I). (N. d. É.)