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d’eux, on plaça des hommes dont le seul mérite était dans leurs tendances républicaines, c’est-à-dire systématiquement opposés à toute restauration de l’Empire ou de la monarchie.

Cette préoccupation apparaît nettement lorsque l’on étudie les actes de la Défense nationale, et elle ne laissait de doute à aucun homme sensé, à l’heure où ces actes se produisaient. Combattre l’ennemi, neutraliser ses efforts, rassembler toutes nos ressources pour lutter sans désavantage fut le devoir des membres du gouvernement issu du 4 Septembre ; ils y furent fidèles, autant que leur insuffisance le leur permit ; mais leur passion, qui, en toute conjoncture, les domina, fut de briser ce qui subsistait encore de l’administration impériale, d’imposer la République, qui restait indifférente à bien des cœurs, d’exciter la haine contre ce qui était tombé après la capitulation de Sedan et de déchaîner contre un rétablissement de l’Empire la véhémence de toutes les passions. C’est pourquoi Crémieux et Glais-Bizoin avaient été envoyés à Tours ; c’était moins les organisateurs que l’on voyait en eux, — ils ne l’étaient pas, — que les tribuns pouvant parler, gesticuler, faire des proclamations et rejeter sur le régime déchu, sur ce régime détesté, les fautes commises et les fautes à commettre.

L’action du Gouvernement de la Défense nationale fut l’essai d’une œuvre de salut, nul n’en peut douter ; mais ce fut, avant tout, une œuvre de propagande politique, destinée à enseigner au pays l’horreur du pouvoir écroulé et à le préparer aux formes d’un pouvoir nouveau. Pendant la guerre, au moment de l’armistice, à l’heure des élections législatives, la pensée de Napoléon III revenant à la tête d’une partie de son armée délivrée hante la cervelle de tous les hommes du 4 Septembre ; elle les affole, les pousse à des énormités et produit cette anomalie que, dans un pays en état de guerre, l’autorité militaire est subordonnée à l’autorité civile. Les opérations stratégiques sont non point dirigées, mais prescrites par Crémieux, par Glais-Bizoin, par Gambetta, par Freycinet, trois avocats et un ingénieur. C’est ce que Lanfrey[1] nommait : « La dictature de l’incapacité », et c’est ce que les mauvais plaisants appelaient : « La compagnie d’assurance contre le bonapartisme. »

  1. Lanfrey (Pierre), 1828-1877. Auteur d’une Histoire de Napoléon Ier (1867-1875). (N. d. É.)