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quoi on n’avait pas alors établi deux camps retranchés, l’un à l’abri du Mont Valérien, l’autre dans le Bois de Vincennes, où l’on eût cantonné les gardes nationaux afin de leur donner l’instruction militaire qui leur manquait et de les façonner de telle sorte qu’ils auraient pu être utiles en un jour de bataille ; il me répondit : « Parce qu’ils auraient refusé de s’y rendre et que nous n’avions aucun moyen de les y contraindre. »

Ces hommes qui, ne se battant pas, étaient une charge pour Paris dont ils dévoraient l’approvisionnement, furent le fond même de cette armée de la révolte et du crime que la Commune opposa à la France, représentée par le gouvernement légal réfugié à Versailles. Là, contre ceux qu’ils appelaient avec une conviction odieuse et profonde les « Prussiens de l’intérieur », ils firent preuve de courage, d’énergie et de ténacité. La différence de leur conduite à cette époque et pendant la période d’investissement a frappé plus d’un bon esprit, qui s’est demandé s’il n’eût pas été possible d’employer à la délivrance du pays les forces qui se sont efforcées de le bouleverser.

Au cours de l’enquête parlementaire sur le 18 mars 1871, la question fut posée au colonel Ossude, de la gendarmerie, qui par fonction savait à quoi s’en tenir sur ce sujet. Sa réponse est à retenir, car elle n’est que l’expression de la vérité. « J’ai entendu dire souvent : si l’on s’était servi pendant le siège de ces bataillons qui se battaient si bien pendant l’insurrection, que de choses on aurait pu faire ! C’est une erreur ; ces bataillons ne se seraient point battus ; ils n’ont aucune espèce de patriotisme. Ils se sont battus parce qu’ils se sont imaginé qu’ils pourraient être les maîtres et ne plus travailler ; mais, quant à se battre par patriotisme, ils refusaient, ils en étaient incapables. »

La légende est faite cependant, et ce n’est pas ce que j’écris aujourd’hui, avec une sincérité poignante, qui l’amoindrira. Il est convenu, d’après les flagorneries intéressées et les certificats bénévolement délivrés à tant d’électeurs, que la garde nationale a été héroïque à Paris pendant la guerre franco-allemande. Il faut avoir le courage de rendre à chacun la part qui lui revient et d’essayer de dissiper des confusions qui faussent l’histoire. Oui, la population de Paris a été héroïque ; oui, elle a supporté avec une admirable résignation la faim, le froid et toutes les misères qui en découlent ; oui, elle a accepté tous les sacrifices, subi tous les amoin-