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sances européennes, pour rectifier leurs assertions respectives, on reconnaît que ce fut le jeu du chat et de la souris. Vraiment Bismarck abusa de sa supériorité de diplomate et de vainqueur contre ce pauvre avocat fourvoyé dans une si formidable affaire et qui jamais ne s’est aperçu que l’on avait fini par se moquer de lui. À Ferrières, le 19 septembre, avant la capitulation de Strasbourg, avant la capitulation de Metz, avant le 31 octobre, avant Champigny, avant Buzenval, avant la famine, avant la capitulation de Paris, on eut envers lui, après l’aveu qu’il venait de faire, des exigences que l’on ne formula même pas à Versailles, lorsque la France râlait ; on lui demanda Toul, que l’on n’a pas gardé après la guerre ; on lui demanda Metz, que Bismarck ne voulait pas prendre, ainsi que je le dirai plus tard, et qu’il ne prit que contraint par l’État-Major général des armées allemandes.

Bismarck lui donna une leçon cruelle, et je doute qu’il l’ait comprise. « En admettant que l’on accorde un armistice, car il ne doit être question que d’armistice, puisque l’on ne peut traiter de la paix, et que l’on hâte les élections législatives, où se réuniront les députés ? — À Paris. — Dans ce cas, il est indispensable que les troupes du roi de Prusse occupent le Mont Valérien. » Jules Favre eut un haut-le-cœur. Bismarck, avec cette politesse railleuse qui est une de ses forces et qui souvent le rend odieux, demanda la permission de faire remarquer à Son Excellence que c’était le seul moyen d’assurer la liberté des discussions parlementaires, qui, sans cette précaution, serait indubitablement troublée et même mise à néant par la populace de Paris.

À ce mot, Jules Favre retomba en rhétorique ; il oublia tout à coup le 24 février, le 15 mai, le 4 septembre, et déclara qu’il n’y avait point de populace à Paris, mais une noble, une héroïque population prête à périr plutôt que de céder une parcelle du sol sacré de la patrie. Il devait répéter la même phrase, au mois de février 1871, quand Bismarck lui proposa de faire désarmer la garde nationale où se préparait la Commune. Il est vrai que, depuis, reprenant pour son compte une parole de Danton, il en a demandé pardon à Dieu et aux hommes. Si la population de Paris a supporté ses souffrances avec abnégation, ce n’est pas celles à laquelle ce malheureux rhéteur faisait allusion, au château de Ferrières, pendant que le roi de Prusse s’amusait à tirer les faisans et les lapins du baron de Rothschild.