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quatre jours après, il était foudroyé par une congestion cérébrale, comme le pauvre Berriat Saint-Prix.

Rochefort n’avait point menti en disant que l’on voulait traiter de la paix ; on a pu le nier depuis, comme on a nié tant de choses, mais le fait n’en est pas moins certain. La majorité du Gouvernement de la Défense nationale désirait arrêter la guerre afin d’en laisser, devant l’histoire et devant le pays, toute la responsabilité à l’Empire. C’était sage, mais qui était capable de nouer de telles négociations avec un vainqueur ivre d’orgueil et naturellement dur en sa façon d’être ? Je cherche vainement parmi les membres du gouvernement inauguré le 4 septembre quel est celui qui avait les qualités d’intelligence, d’instruction, d’habileté pour sortir sans trop d’avaries d’un pas si difficile.

J’y compte un général qui, par ce qu’il a déjà fait, prouve ce qu’il ne saura pas faire, Trochu ; des avocats qui ont plus ou moins de talent, plus ou moins de vogue : Jules Favre, Emmanuel Arago, Crémieux, Gambetta, Ernest Picard ; des hommes politiques démodés : Garnier-Pagès, Glais-Bizoin ; des journalistes : Eugène Pelletan, Jules Ferry ; un professeur en Sorbonne : Jules Simon ; enfin j’y vois un pamphlétaire : Rochefort, que l’on a fourré dans ce conseil suprême non parce qu’il y pouvait être utile, mais parce qu’on le redoutait et qu’on voulait l’annihiler ; je n’aperçois pas un seul diplomate, c’est-à-dire l’homme ayant fait des études spéciales, connaissant les traités, ayant une opinion raisonnée sur l’intérêt des différentes cours d’Europe et possédant cette tradition qui enseigne l’art de tourner les difficultés et d’éluder parfois de pénibles contraintes, à l’aide de subtilités de langage. C’était de diplomatie cependant que l’on avait besoin, car, tôt ou tard, même en prévision d’une victoire, le dernier mot devait lui appartenir.

L’étourderie des hommes du 4 Septembre fut telle qu’ils n’y pensèrent même pas, ou leur infatuation leur fit croire qu’ils suffiraient à tout. Ce qui tendrait à prouver que cette dernière hypothèse est juste, c’est que Jules Favre s’empara du ministère des Relations extérieures. Son ignorance, en pareille matière, dépassait l’imagination ; ayant découvert que les titres de l’empereur d’Autriche se formulaient en abrégé : S. M. I. et R. A., il traduit ces cinq lettres majuscules par Sa Majesté Impériale et Royale Altesse ; il ne savait même pas que le souverain d’Autriche est Apostolique,