sur les généraux, les généraux comptaient sur l’Empereur ; l’Empereur comptait sans doute sur un de ces coups de la fortune qui l’ont si fidèlement servi, jusqu’aux jours qui suivirent les préliminaires de Villafranca. Après le désastre, tous s’accusèrent : les généraux ont trahi, disaient les soldats ; les soldats n’ont pas obéi, disaient les généraux. On était assourdi de ces clameurs, qui n’étaient que du bruit et que l’on prenait pour des preuves.
La nation, stupéfaite, ahurie, discutait au lieu d’agir, s’agitait tumultueusement, faisait appel aux haines plus encore qu’à la concorde, prenait les mauvaises routes ou tournait sur place, pareille à un troupeau qui se heurte, se tasse, s’étouffe et croit avancer parce qu’il remue. Seul le chef de l’État, mesurant le gouffre ouvert sous ses pieds et dans lequel il s’engloutissait, put constater avec horreur que la France s’était désorganisée, désagrégée, anéantie sous le long règne de silence, sous le système sans contrôle qu’il lui avait imposé et qu’elle avait subi avec une si parfaite docilité. Il était trop tard pour remédier à tant de maux ; on ne remonte pas les courants, et celui qui coulait d’Allemagne avec une violence régulière passa sur la France, qu’il laissa meurtrie, blessée jusqu’au fond du cœur et à demi submergée.
On eût bien étonné les hommes du 4 Septembre, qui se croyaient des vainqueurs parce qu’ils avaient donné la dernière poussée à l’Empire déjà écroulé sur lui-même, si on leur avait dit qu’ils apportaient à la Prusse un secours qu’elle n’eût osé attendre d’aucun allié, car ils en rendaient les forces invincibles, en triplaient les exigences et en assuraient le triomphe ; ils ne pensaient guère, à l’heure où ils se proclamaient eux-mêmes à l’Hôtel de Ville, que cette souveraineté populaire qu’ils invoquaient pour excuser leur usurpation sur le Corps législatif mettait toutes les chances du côté du droit divin et conviait la fortune à seconder les armes du roi Guillaume. Si on les eût avertis que leur imprudence ou leur ambition allait frapper la France d’un coup qui serait presque mortel, ils auraient levé les épaules et n’en auraient rien cru ; ce n’eût été cependant que la vérité.
Lord John Russell a dit dans ses Mémoires : « Les Français, qui venaient de succomber, par leur faute même, et sous leur propre agression, déposèrent leur souverain à la suite d’une révolution de la populace et laissèrent escalader le pouvoir