Depuis quatre jours, l’Impératrice avait vécu dans des angoisses que chaque incident renouvelait et dont les causes multiples rendaient l’oppression plus poignante. À cette heure, près d’une terre où sa personne devenait inviolable, percevant encore les bruits de l’ouragan auquel on n’avait échappé que par un prodige, il est probable qu’elle se sentit heureuse de vivre et qu’à l’horizon d’un avenir prochain elle aperçut l’étoile de l’espérance qui brillait encore. Nous sommes ainsi faits, et il suffit que nous ne soyons pas morts pour croire à des destinées heureuses. Il ne faut pas la blâmer si, à peine sortie saine et sauve de deux tempêtes, dont la plus menaçante n’était peut-être pas la dernière, elle parla, sans forfanterie, d’un retour de fortune et si, faisant allusion à ceux qui l’avaient si lestement abandonnée, elle se mit à rire de leur « fragilité » et de la naïveté dont elle avait fait preuve lorsqu’elle avait compté sur eux. Elle disait avec une expansion de gaieté où il y avait quelque chose de trop éclatant pour être naturel : « C’est une bonne leçon et elle ne sera pas perdue pour moi. » Madame, le destin n’a point permis que Votre Majesté en profitât, et cependant là, dans ce yacht, on choqua des verres de vin de Champagne, en buvant à la prompte résurrection de l’Empire.
Ce fut le 11 septembre, par une dépêche venue d’Angleterre, que le chevalier Nigra, ambassadeur d’Italie, que le prince Richard de Metternich, ambassadeur d’Autriche, apprirent que l’impératrice Eugénie était sauvée et réfugiée en Angleterre, où la reine avait envoyé de chaleureuses félicitations à Sir John Burgoyne Montagu. Jusque-là, ils avaient ignoré ce qu’elle était devenue. Ils la croyaient en Belgique, car le comte de Kératry, le nouveau préfet de Police, qui n’en savait pas plus qu’eux, racontait confidentiellement, mais volontiers, qu’il s’était fait un devoir de faciliter son départ et qu’elle était heureusement arrivée à Bruxelles. J’en suis fâché pour le comte de Kératry, gentilhomme breton et ancien officier ; en disant cela, il n’ignorait pourtant pas qu’à la prière de Conti, profondément inquiet de n’avoir pas trouvé l’Impératrice au rendez-vous qu’elle lui avait assigné en le quittant, le roi des Belges l’avait fait chercher et qu’elle n’avait été découverte dans aucune ville de Belgique. J’imagine que Metternich et Nigra ont poussé un soupir de soulagement en connais-