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La soirée du 8 août et la matinée du 9, sans être troublées, avaient été houleuses, des groupes se formaient de tous côtés ; on discutait les nouvelles, on maudissait Ollivier ; ceux-là même, ceux-là surtout qui le plus fort avaient crié : « À Berlin ! » disaient : « Je vous l’avais bien dit. » On pérorait sur le boulevard, où la petite bourse était affolée ; les ateliers étaient déserts ; les marchands restaient sur le pas de leur boutique ; partout on sentait le levain populaire qui entrait en fermentation ; la foule semblait se chercher, mais nul mot d’ordre ne la groupait sous la même pensée ; elle ne se réunissait pas et ses tronçons restaient séparés. Le 9 au soir, changement à vue ; le calme était complet, la détente s’était produite ; la chute du ministère Ollivier causait une satisfaction générale ; pour un peu, on eût illuminé. Ollivier, la cause de tout mal, étant tombé, nous allions reprendre l’offensive et nous ne pouvions marcher que de victoire en victoire. La défaite de Mac-Mahon retardait l’entrée à Berlin ; mais ce n’était plus qu’une affaire de jours et le triomphe n’en était pas moins certain. Ainsi raisonnait ou plutôt résonnait le peuple dont la voix, comme nul ne l’ignore, est la voix de Dieu lui-même.

L’homme auquel incombait la tâche de maintenir Paris, de rassurer la France, de réunir de nouvelles armées, de transmettre ses instructions aux maréchaux commandants en chef, d’organiser la victoire et de sauver l’Empire était le général Cousin-Montauban, comte de Palikao, connu plutôt que célèbre par son expédition en Chine. C’était un officier de cavalerie hardi, très propre à ce que Napoléon Ier appelait des « houzardailles », ayant mené rondement et vigoureusement sa campagne contre le Céleste Empire, d’une activité qui ne se démentit pas un seul instant pendant son ministère, mais peu rompu aux roueries politiques, très capable, à la tête d’un escadron, de bousculer un régiment, mais sans aptitudes pour faire face aux difficultés législatives dont il allait être assailli et dont le seul résultat était de l’enlever à son premier devoir, c’est-à-dire aux efforts qu’il faisait pour renforcer nos armées. Sous ce rapport, il fut à la hauteur de sa tâche.

En vingt jours, il reconstitua au camp de Châlons une armée de 140 000 hommes, créa trois nouveaux corps d’armée avec leur artillerie, leurs approvisionnements, et prépara la mise en défense de Paris que la révolution du