Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tants après, rencontré deux dames escortées d’un monsieur qui portait un sac de voyage. L’une d’elles, s’approchant de moi, me dit : « Vous êtes, je crois, le gentleman anglais qui veut bien me conduire en Angleterre. Je suis l’Impératrice. » En prononçant ces mots, elle éclata en sanglots. Je me nommai et elle prit le bras que je m’empressai de lui offrir. Nous nous embarquâmes sur La Gazelle et je lui présentai Lady Burgoyne. À peine assise, elle demanda des journaux et pria milady de lui donner des nouvelles de l’Empereur et du Prince impérial. »

Elle était en sûreté sous pavillon anglais, mais elle ne pouvait encore quitter la terre de France, car le flot ne devait battre son plein qu’à sept heures du matin, et à cette heure-là seulement le yacht, franchissant le goulet de Trouville, pouvait gagner la haute mer. L’Impératrice avait été engagée par Lady Burgoyne à se coucher et à prendre un repos dont elle devait avoir besoin. Elle refusa, rassembla les journaux sur la table du « carré » et se mit à lire. Elle jeta un cri de joie en apprenant par le Times que son fils était arrivé à Douvres par la voie d’Ostende. En même temps, elle lisait que Napoléon III était parvenu à la résidence de Wilhelmshœhe, que le roi de Prusse lui avait assignée, et elle eut connaissance des faits qui s’étaient passés à Paris, depuis son départ.

Avec la volubilité qui lui était familière, lorsqu’une émotion l’avait saisie, elle raconta à Lady Burgoyne les incidents de sa dernière journée de régence et l’incertitude de sa fuite à travers Paris soulevé. Elle fut amère, elle fut violente, elle pleurait en disant qu’à la minute suprême, elle s’était vue délaissée par ceux sur lesquels elle avait le droit de compter. Elle trépignait de colère : « Avant même que j’en sois partie, mes domestiques entraient dans mes appartements et me volaient sous mes yeux ; du reste, ç’a été la même chose à Madrid pour cette pauvre reine Isabelle. » On essayait de la calmer avec ces lieux communs que l’on répète à toute infortune, quoiqu’on les sache inutiles. Elle avoua que dans la journée, à Deauville, elle avait eu peur, s’attendant à toute minute à être arrêtée : « Car », disait-elle, avec une sorte de vanité féminine dont elle n’avait point conscience, « il me paraît impossible que l’on ne m’ait point reconnue. »

Le tumulte de la ville s’était apaisé ; l’ivresse et la fatigue avaient éteint le bruit ; vers trois heures du matin, les caba-