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la dissolution de l’Assemblée, la nomination d’un conseil consultatif dont les membres eussent été choisis parmi les républicains avérés, la dictature déférée pour six ans au général Cavaignac. Lamoricière, qui comptait devenir, par cette combinaison, maréchal de France et chef suprême de l’armée, m’appuya très énergiquement et affirma qu’il répondait du succès. Cavaignac fut inébranlable et voulut courir, constitutionnellement, les chances de l’élection. Peut-être son caractère, plus timoré qu’on ne l’a cru, répugnait-il à l’emploi des moyens illégaux ; peut-être croyait-il que la France, reconnaissante des services rendus, le choisirait pour président. Je ne sais au juste quel sentiment domina en lui et fortifia sa détermination. En tout cas, mon projet fut repoussé et la République mourut. » En effet, elle en mourut ; l’agonie commença après l’élection du 10 décembre. Aurait-elle vécu, si les votes de la population se fussent portés sur un autre candidat ? J’en doute. Tous les partis qui divisaient l’Assemblée nationale et la nation guettaient la République, semblaient faire effort pour la pousser de faute en faute, afin de la renverser plus facilement, de s’emparer de ses dépouilles et de la remplacer. Nul n’avait abdiqué ses prétentions : ni les légitimistes, qui allaient en procession à Wiesbaden saluer, dans le comte de Chambord, le futur roi, le roi prochain ; ni les orléanistes, qui assiégeaient Claremont et voyaient dans le prince de Joinville le lieutenant général du royaume, pendant la minorité du comte de Paris ; ni les fusionnistes, qui rêvaient la réconciliation de la maison de France et l’adoption du fils du duc d’Orléans par le fils du duc de Berry ; ni les jacobins, qui tentaient de se soulever, le 13 juin 1849, à la voix de Ledru-Rollin ; ni les socialistes, dont on remplissait les prisons sous prétexte que, dans leurs écrits, ils attaquaient la famille, la religion et la propriété.

On préparait la voie au président ; il ne l’eût pas mieux préparée lui-même. La division était telle que nul parti n’était assez puissant pour tenir en échec cet homme taciturne, d’apparence apathique, qui était soutenu par une idée fixe et qui en poursuivait la réalisation avec la ténacité d’un maniaque. Il laissait les orateurs parler, les journalistes écrire, les représentants du peuple se disputer, les généraux destitués l’injurier, les meneurs de groupes parlementaires le menacer ; il restait seul, muet, impénétrable. Ses adver-