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deux hoquets, le nom du prétendant impérial que l’avenir devait appeler à recueillir l’héritage ouvert par l’imprudence, l’ambition et l’envie.

La partie de Louis-Philippe n’était même pas compromise, le 23 février ; il la perdit avec une imbécillité sénile dont on reste stupéfait ; malgré la fusillade du boulevard des Capucines, malgré l’émotion qui en résulta, il suffisait de quelque vigueur pour tenir tête à l’émeute et empêcher le roi d’abandonner aux hasards de la violence les institutions qu’il avait juré de défendre. Ce n’était pas seulement sa couronne qui était en jeu, c’était la prospérité, c’était l’état social de la France. La nation s’était confiée à lui, en 1830 ; il ne fit rien pour la protéger et l’arracher à une révolution qu’elle ne désirait pas, dont elle resta longtemps atterrée. Un souverain n’a pas que sa personne et son trône à sauver ; il est pasteur de peuple et il doit avant tout veiller sur le troupeau. En ne faisant rien, dans la nuit du 23 au 24 février, en ne prenant aucune disposition sérieuse dans la matinée du 24, Louis-Philippe a été coupable et ceux qui le servaient ont été criminels.

Nul homme ne se rencontra qui fit acte d’énergie ; le maréchal Bugeaud pérora, au lieu d’aller, dès le point du jour, chercher la révolte dans ses repaires ; le duc de Nemours, commandant nominal en chef de l’armée, plus plein de morgue que jamais, méprisait trop la populace pour daigner s’en occuper et resta près du palais, au milieu de son état-major ; le duc de Montpensier estimait que son père était bien lent à abdiquer. Les deux hommes d’action de la famille d’Orléans, le prince de Joinville et le duc d’Aumale, étaient à Alger ; au reçu d’une lettre de François Arago, ils déguerpirent. La reine, se retrouvant hautaine dans ces circonstances, prononça un mot cruel et immérité ; lorsque le roi eut signé son abdication, elle se tourna vers la duchesse d’Orléans et lui dit : « Eh bien ! Hélène, vous devez être contente ! » La duchesse d’Orléans était si peu « contente » qu’elle égara un de ses enfants au milieu de la Chambre des députés.

La fuite fut honteuse. Le roi Charles X, voyageant à petites journées, dans ses voitures attelées de huit chevaux, avait quitté la France, entouré de sa maison militaire ; il ne se pressait guère, car il ne s’embarqua à Cherbourg que le 16 août 1830. Louis-Philippe se sauva et se cacha si bien