Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/89

Cette page a été validée par deux contributeurs.

voir paraître — il était accompagné de Pierre-Marie Piétri[1], le même qui fut sénateur, préfet de Police, et que Boittelle[2] remplaça en 1858, après l’attentat d’Orsini. Piétri était un homme d’énergie, conspirateur habile et qui avait passé une partie de son existence dans les Ventes des sociétés secrètes de l’Italie. Tous deux, le futur prince du sang, le futur grand fonctionnaire de l’Empire, se battirent comme de simples émeutiers et surent, plus d’une fois, donner l’exemple du courage. Ils se mêlèrent à la bande qui se rua sur le château des Tuileries, après l’incendie de la caserne, où une poignée de braves gens avait lutté contre l’insurrection dont elle était entourée de toutes parts. Le prince se promena avec curiosité dans les appartements royaux envahis par la foule et où, cinq ans plus tard, il devait être, après le souverain, le plus haut personnage. Le lendemain, 25 février, Pierre Piétri était nommé commissaire général de la République pour la Corse, autrement dit préfet à Ajaccio, et le prince Napoléon-Jérôme — Plon-Plon — se préparait au rôle politique que nous lui avons vu jouer.

Ceux qui pensaient alors au rétablissement de l’Empire n’étaient point nombreux et, quoique le prince Louis eût noué des relations avec quelques républicains convaincus — Louis Blanc, Peauger, Armand Marrast et bien d’autres, — pendant qu’il était à ce qu’il se plaisait à nommer « l’université de Ham », nul ne se doutait que le 24 février 1848 aurait pour conséquence le 2 décembre 1851. On eût ri si telle prédiction eût été faite, et cependant, si l’on eût pu voir les insanités dont on allait se repaître, les sottises et les violences que l’on allait commettre, les niaiseries à la fois prétentieuses et brutales que La Tribune et La Presse allaient échanger, on n’eût point été surpris d’un dénouement qui faisait succéder, à la logomachie et à l’inquiétude, le silence et le repos dont la nation avait besoin.

Que de fois, depuis ces événements, je me suis souvenu de l’émeutier de la rue de la Planche-Mibray qui, le soir même d’une révolution républicaine, appuyée par les légitimistes du Parlement, prononça du haut d’un cheval crevé, entre

  1. Piétri (Pierre-Marie), 1809-1864. Député à la Constituante de 1848, préfet de Police de 1852 à l’attentat d’Orsini (14 janvier 1858), frère aîné de Joseph-Marie Piétri (1820-1902), qui fut aussi préfet de Police de 1866 à 1870. (N. d. É.)
  2. Boittelle (Symphorien), préfet de Police de 1858 à 1866, puis sénateur de l’Empire.