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sur une boutique de coutelier. On en découvrit une, dans le faubourg Saint-Antoine, et le marché fut promptement conclu. Le général Piat, Persigny et un troisième personnage dont j’ai oublié le nom, qu’ils avaient rencontré chez Mme Gordon et qui s’était spontanément joint à eux, distribuaient aux insurgés de bonne volonté des couteaux, des serpettes, des rasoirs et des sécateurs : « Au nom du prince Louis-Napoléon, disait Persigny, le neveu du grand Empereur ! » Puis, comme il est toujours bon de mettre un peu de mystère dans les œuvres de révolte, il ajoutait à voix basse et dans l’oreille : « Le mot d’ordre est : Arrosez le peuplier ! »

L’homme que j’avais vu, dans la soirée du 24 février, « gardant sa barricade », rue de la Planche-Mibray, avait eu sa part dans cette distribution, et son haleine prouvait qu’il n’avait pas arrosé que le peuplier ! Ces faits, peu importants par eux-mêmes, mais qui démontrent que les partisans de la restauration de l’Empire ne négligeaient aucune occasion de tenter la réalisation de leur rêve, sont restés inconnus jusqu’à ce jour ; ils m’ont été racontés, en détail, par le prince Napoléon-Jérôme et je les crois exacts. J’ai toujours ignoré la signification précise qu’il fallait attribuer aux mots : « Arrosez le peuplier ». A-t-on voulu jouer sur le mot latin populus, qui signifie à la fois, selon qu’il est masculin ou féminin, peuple et peuplier ? J’en doute ; c’eût été bien subtil et bien savantasse pour des émeutiers. J’ai interrogé le prince Napoléon à cet égard, il m’a répondu : « Persigny a dit cela comme il aurait dit autre chose. » C’est fort possible.

Le prince non plus n’était pas resté oisif, pendant la journée du 24 février. Voyant, dès le matin, les troupes défiler, la crosse en l’air, il avait compris que la monarchie de Juillet s’effondrait, entre l’abandon de l’armée et l’hostilité de la garde nationale. Il avait pris son parti et s’était dit que, puisqu’il y avait bataille, il devait combattre. Vêtu d’une blouse, coiffé d’un chapeau mou, armé d’un fusil de chasse, il avait couru jusqu’à la place du Palais-Royal et y avait fait le coup de feu contre les soldats abandonnés, sacrifiés dans le poste dit du Château-d’Eau, qui alors faisait face au palais et qui a été détruit, lors de la construction du nouveau Louvre.

Pour cette expédition — où j’aurais voulu ne le point