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la qualité d’une personne ne peut créer une exception pour une loi de droit commun ; mais Lagrange ne l’entendait pas ainsi ; son argumentation porta sur la fortune des Orléans : « Le citoyen beau-père est très riche », disait-il ; « le citoyen beau-père », c’était le roi Louis-Philippe. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, Lagrange fut expulsé de France, où l’on aurait pu le laisser sans danger. Il se réfugia en Hollande ; il y fut commissionnaire en vins et mourut à La Haye, le 22 décembre 1857.

« À l’heure où on l’accusait de décharger un pistolet sur les troupes, afin d’amener une collision dont le parti révolutionnaire, représenté par la Société des Saisons et la Société Dissidente, pourrait profiter pour chasser la royauté au profit de la république, il était au Gros-Caillou, cherchant à soulever les ouvriers de la manufacture des tabacs, qui ne répondaient guère à son appel. Le fait qui produisit la catastrophe fut inopiné et la responsabilité en incombe à un sous-officier du quatorzième de ligne. Le régiment était caserné à Courbevoie. À la fin du jour, il reçut l’ordre de venir prendre dans Paris des positions désignées. Il était sous le commandement du lieutenant-colonel Courant, car son colonel, M. Ortoli, était malade à l’infirmerie du Val-de-Grâce. Le régiment se composait de trois bataillons ; l’un fut envoyé sur le quai aux Fleurs, près du Palais de Justice ; l’autre sur la place du Palais-Royal ; le dernier enfin, celui qui nous occupe, conduit par le lieutenant-colonel et commandé par le chef de bataillon de Bretonne, vint s’établir à sept heures du soir devant le ministère des Affaires étrangères. Il était composé de huit compagnies précédées de la musique du régiment.

« Les ordres transmis au colonel Courant lui prescrivaient de protéger la demeure de Guizot et d’intercepter la circulation sur le boulevard. À huit heures et demie, un bataillon de la deuxième légion de la garde nationale était venu, sous la direction du colonel Talabot, se placer devant le détachement du quatorzième de ligne, qu’il couvrait, faisant face vers la Bastille. Si ce bataillon avait reçu le premier choc de la bande qui parcourait les boulevards pour faire illuminer les maisons, il est probable que tout se serait passé en pourparlers et qu’un accident de si grave conséquence eût été évité. Malheureusement, un autre groupe insurrectionnel s’était porté, place Vendôme, devant la Chancellerie, criant :