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de qui il s’agissait, il se décida enfin — au bout de plusieurs semaines — à m’avouer qu’il s’agissait de la fille de la Bancal.

« L’affaire en est restée là.

« 22 avril 1876.

« Max. Legrand. »

Le docteur Legrand, que je connais depuis trente ans, est incapable de mentir ; sa note doit être considérée comme l’expression absolue de la vérité. On peut en conclure que de hautes influences ont veillé sur la fille de l’homme dans la maison duquel le crime a été commis, et que la discrétion avait son prix, puisqu’on la payait huit cent mille francs, à une époque où de pareilles dots étaient rares. Mais quels étaient les personnages qui avaient intérêt à enfouir ce meurtre sous un silence prolongé ? On ne le sait pas encore et il est probable qu’on ne le saura jamais[1].

Le seul procès criminel qui, du temps de Louis-Philippe, aurait pu avoir un retentissement analogue au procès Fualdès, est celui du duc de Praslin. La mort interrompit l’instruction : le duc, se voyant non seulement soupçonné, mais découvert, s’empoisonna. On a dit qu’il mourut en chrétien : grand bien lui fasse ! On a prétendu que, pour éviter des débats publics qui eussent déshonoré une des bonnes familles de France, on avait fait passer le duc en Angleterre et que l’on avait faussement répandu le bruit de sa mort. C’est là une légende comme il s’en crée toujours dans le peuple, lorsque quelque grand événement social se produit. Le duc de Choiseul-Praslin n’a pas survécu à la dose d’arsenic et de laudanum qu’il a absorbée dans la nuit du 24 août 1847 ; son cadavre a été porté au cimetière du Sud. Sous un fouillis d’arbres, j’ai vu une pierre tombale muette ; pas un nom, pas une date ; elle recouvre les restes de l’assassin.

Jamais crime ne fut plus bête, plus maladroit, plus odieux que celui-là. On reste confondu, lorsque l’on en examine les circonstances. Je me rappelle la duchesse ; c’était une femme

  1. Malgré la confiance que m’inspire le docteur Legrand et qu’une intimité de plus de trente ans n’a jamais ébranlée, je dois mettre en regard de son récit la note suivante, prise dans Les Causes célèbres : « Des étrangers arrivèrent en foule à Rodez ; l’un d’eux, M. Jacquinot, avocat, secrétaire général de la préfecture de la Moselle, a laissé un Journal de mon voyage à Rodez, en octobre 1817 ; ce témoin impartial, respectable, y certifie l’intelligence et la candeur de cette charmante enfant (Magdeleine Bancal), que la misère jeta plus tard dans les fanges de la prostitution. » (Causes célèbres de tous les peuples, par A. Fouquies, t. V, Paris, 1862 ; Le Brun, éditeur, in-4o, p. 62.)