Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sion, à la fois scientifique et industrielle, qui a donné le branle au mouvement d’amélioration dont j’ai été le contemporain et le spectateur platonique. Toute cette création de voies ferrées, de ports, de bateaux à vapeur, de canaux à travers les isthmes, qui met l’Occident en communication rapide avec l’Extrême-Orient, se trouve développée dans leurs journaux : L’Organisateur, Le Globe, de 1828 à 1830. Leur théocratie a été puérile, leur costume a été ridicule, mais le résultat de leur prédication et de leurs efforts est énorme et a perfectionné les conditions de la vie humaine. Ce qu’ils ont dit, ce qu’ils ont écrit, ce qu’ils ont fait est-il encore connu ; s’en souvient-on ?

Si quelque curieux de la propagande métaphysico-sociale, qui commence à la fin de la Restauration et se propage pendant le règne de Louis-Philippe, veut savoir à quoi s’en tenir sur la poussée que le saint-simonisme a opérée à travers nos vieilles institutions, qu’il aille à la bibliothèque de l’Arsenal, à la condition qu’une nouvelle Commune ne l’ait point incendiée comme contraire à l’égalité de l’ignorance et de la bêtise ; là, les archives saint-simoniennes ont été déposées, pour être livrées au public trente ans après la mort du Père Enfantin, c’est-à-dire le 21 août 1894 ; celui qui les lira découvrira de singulières révélations sur le percement de l’isthme de Suez :

Sic vos non vobis, mellificatis apes !

Parallèlement aux saint-simoniens, dont l’axiome fondamental était : « À chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres », apparaissait le fouriérisme, qui disait : « À chacun selon ses besoins. » Les saint-simoniens rêvaient la reconstitution de la société sur les bases hiérarchiques du catholicisme ; à la place du pape on mettait Le Père, Le Père Suprême, d’où découlaient toute grâce, toute vertu et toute loi ; les fouriéristes créaient le Phalanstère, vaste communauté où chacun se développait selon sa « tendance passionnelle », où tout caprice, toute fantaisie trouvait des satisfactions immédiates. Je plaindrais le pays qui accepterait ces systèmes préconçus sans étude préalable des exigences de la diversité humaine et qui s’y soumettrait ; il entrerait dans la pire des tyrannies, dans la tyrannie théocratique, et serait contraint de faire abandon de toute liberté.

Dans ces utopies souvent ingénieuses, parfois grandioses