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nette continua les leçons pratiques que le roi avait données à son fils. Des complots mal dirigés par de Jarjayes, de Batz, le général Dillon, les municipaux Michonis, Toulan et Lepître, et qui avaient pour but d’enlever le dauphin du Temple, furent découverts. On décida que l’enfant serait séparé de sa mère ; le 3 juillet 1793, il fut confié à la garde de Simon et mourut le 8 juin 1795 (20 prairial an III). Le 10, à sept heures du soir, il fut porté au cimetière de Sainte-Marguerite. En 1816, on y fit des fouilles et l’on ne retrouva aucun vestige du pauvre petit. En effet, il n’y était plus ; dans la nuit qui suivit l’enterrement, le corps fut exhumé et transféré au cimetière de Sainte-Catherine, que l’on a toujours confondu avec le cimetière de Clamart. Je crois me souvenir que Peuchet a donné le procès-verbal d’exhumation et de réinhumation dans son Histoire de la Police[1].

Et le fauteuil ? En 1811, l’empereur Napoléon, qui n’aimait guère les souvenirs désagréables aux puissants de la terre, qui, traversant une galerie du palais de Versailles et apercevant un portrait de Louis XVI, avait dit à Marie-Louise : « C’est notre oncle », Napoléon ordonna de démolir la tour du Temple et de faire place nette de cette prison régicide. Avant de jeter aux gravois l’ancien château des moines rouges, d’où Louis XVI était parti pour l’échafaud, on vendit les meubles qui le garnissaient ; les chenets gigantesques, les bahuts en bois de chêne ouvragé, les batteries de cuisine s’en allèrent dans l’échoppe des marchands de bric-à-brac. Parmi les brocanteurs qui se disputaient les vieux cuivres et les vieilles ferrailles, il y avait un Silésien appartenant à cette classe d’industriels, presque disparus aujourd’hui, que l’on nommait les convoyeurs d’armée. Il était venu jusqu’à Paris du fond de ses provinces, conduisant son chariot, escortant quelque régiment dont il portait les bagages, marchant par étapes, dépouillant les morts après les batailles, volant dans les villages qu’il traversait, grappillant partout, vendant de l’eau-de-vie, exploitant les soldats, prêtant à la petite semaine, gagnant sur chacun et criant misère. Il allait retourner au pays « à vide ». Au Temple, il acheta plus d’un objet, entre autres

  1. La version de Peuchet a été très énergiquement combattue par M. de Chantelauze, dans son livre sur Louis XVII. Selon lui, le corps du dauphin est resté et est encore (1887) à la place même où il a été déposé.