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En sortant de prison, 1828, il se retira à Crossen. C’est là et c’est alors qu’il s’aperçut qu’il était Louis XVII. Il alla à Dresde, il alla en Suisse et enfin à Paris, où il arriva en 1833. Ceci est la vérité, qui ne ressemble guère au roman que Naudorf débitait. Comment avait-il donc été initié à des particularités de la vie du dauphin à Versailles, à Trianon, au palais des Tuileries, pendant le voyage de Varennes ; comment savait-il des faits qui n’étaient ou n’auraient dû être connus que de certaines personnes attachées au service de Louis XVI et de Marie-Antoinette ? On peut répondre.

Lorsque le duc de Normandie, vivant à Paris, étala ses prétentions dans quelques salons bien hantés, la police s’émut et, par voie diplomatique, demanda qu’une enquête fût faite en Prusse, d’où le prétendant arrivait. L’enquête fut très habilement menée et poursuivie par ordre du ministre de l’Intérieur à Berlin, qui, je crois, se nommait Rochow. Les résultats de l’enquête, résumés dans un rapport, me furent racontés par le comte Fleming, que j’ai connu, à Baden-Baden, ministre plénipotentiaire de Prusse près la cour de Carlsruhe et mari de la fille de Bettina d’Arnim. Ce rapport établissait que le duc de Normandie n’était autre que Carl Wilhelm Naudorf et relatait les faits dont je viens de parler : on le qualifiait d’homme de peu, capable d’escroqueries, mais sans énergie pour un crime ; cette dernière observation répondait évidemment à des appréhensions de régicide. Si les hommes qui ont conduit l’enquête n’ont point été abusés, s’ils ont découvert la vérité, ce qui reste à dire est extraordinaire et ressemble à une fiction propre à préparer un dénouement dramatique.

Né le 27 mars 1785, le dauphin avait sept ans accomplis lorsque, le 13 août 1792, il fut enfermé, avec la famille royale, dans la prison du Temple. Louis XVI ne garda pas de longues illusions sur le sort qui l’attendait ; il était persuadé que son fils lui serait enlevé pour être conduit à la campagne, confié à des paysans, afin qu’il pût perdre tout souvenir de sa naissance, de son milieu, et être incapable de revendiquer plus tard l’héritage de ses pères. Cette crainte le poignait ; il voyait son fils, Louis-Charles de France, réduit à une condition obscure, ignorant ses droits et laissant déchoir dans la médiocrité le nom des Bourbons. Sa préoccupation la plus vive fut donc de graver, dans la