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ne reparut pas à son auberge et décampa ; le 2 novembre, il arrivait à Paris ; le 8, il s’embarquait à Toulon et prenait terre, le 12, à Bône, de façon à se joindre le lendemain à la colonne expéditionnaire qui se dirigeait sur Constantine. À l’assaut infructueux du 28, il sauva la vie du général Trézel.

Cependant la police de Strasbourg, qui avait fouillé les hôtels garnis et les maisons meublées, avait mis la main sur le passeport Oppermann. On l’expédia à Fontainebleau avec une commission rogatoire. Le sous-lieutenant Oppermann, interrogé, reconnut son passeport et ne put expliquer comment on l’avait trouvé dans une chambre de l’hôtel de la Maison Rouge ; il ne lui fut pas difficile de prouver qu’il n’avait point quitté Fontainebleau, où ses camarades l’avaient vu tous les jours ; le 30 octobre, il avait été de service et avait fait une promenade militaire avec sa compagnie, commandée par le capitaine. Ces faits restaient si clairement établis que, l’interrogatoire terminé, Oppermann ne fut plus rappelé chez le juge d’instruction. Quoique l’alibi invoqué eût été démontré jusqu’au-delà de l’évidence, une note fâcheuse demeura sur Oppermann ; son avancement fut très lent ; il se fatigua d’une carrière qui n’avait plus d’avenir et il prit sa retraite avec le grade de chef d’escadron, après la campagne d’Italie. Assez philosophe, quoiqu’un peu grognon et se plaignant de l’injustice du sort à son égard, il vivait paisiblement à Paris, faisant le soir sa partie de dominos au café Tabouray, se couchant tôt, allant regarder les joueurs de boules et les soldats que l’on exerçait. Les jours avaient marché, depuis la tentative de Strasbourg, et les événements aussi ; d’abord le coup d’État du 2 décembre, puis la présidence décennale ; enfin, l’Empire, l’Alma, Sébastopol, Magenta, Solférino et le reste. Son camarade Auguste de Morny avait eu plus d’avancement que lui ; il était devenu haut personnage, très consulté, presque tout-puissant.

Un soir que le commandant Oppermann se promenait en sifflotant, dans les Champs-Élysées, il se trouva face à face avec Morny, qui lui tendit les mains : « Que je suis heureux de te rencontrer ! » On se prit le bras, on chemina dans la longue avenue ; les souvenirs de jeunesse se pressaient dans la mémoire des deux anciens camarades : « Qu’es-tu devenu depuis que tu as quitté le régiment ? » demanda