Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Intérieur pendant quelques semaines en 1848, Bergeron, qui, la veille, avait eu une entrevue avec Boireau, Benoist, Groseiller, deux chefs de section, et Degouve-Denuncque, journaliste sans talent, directeur d’une agence de correspondance provinciale dont le siège était place de la Bourse, tout fier d’avoir reçu la confidence d’un secret qu’il avait presque trahi déjà en écrivant à La Gazette de Metz : « Pour la cinquième et probablement la dernière fois, les ex-glorieuses et mémorables vont être célébrées à Paris », et à L’Industriel de la Meuse : « On continue à dire que Louis-Philippe sera assassiné, ou plutôt qu’on tentera de l’assassiner, à la revue du 28 juillet. »

Là où ils étaient, l’œil aux aguets et l’oreille à l’écoute, ils entendirent le bruit de la détonation, ils virent la fuite de la foule ; puis un immense cri de : « Vive le roi ! » vint jusqu’à eux et ils aperçurent Louis-Philippe et ses fils qui marchaient lentement devant les troupes exaspérées. Ils détalèrent, se jetant au hasard des rues ouvertes devant eux pour se sauver plus vite. Une femme les vit et les dénonça ; mais, comme elle ne les connaissait pas et ne pouvait les désigner, sa déposition — qui est consignée dans les procès-verbaux de l’instruction judiciaire — resta sans effet. La plupart de ces jeunes gens purent quitter la France, grâce à des passeports « de questure » qui leur furent remis par un député de la Haute-Garonne, nommé Dugabé. Godefroy Cavaignac s’embarqua à la baie de la Somme, escorté par Charles Louandre, l’historien, qui, sous prétexte d’une partie de pêche, avait réussi à se faire prêter la patache de la Douane.

Un autre homme connut le complot ; c’est Auguste Blanqui, auquel Pépin raconta tous les détails de l’attentat projeté, dans un rendez-vous qu’ils eurent, le matin du 28 juillet, chez un libraire de la rue de l’Estrapade. Blanqui passa la journée chez Barbès, rue de la Verrerie, à proximité de l’Hôtel de Ville, et là, il dicta à son futur complice dans l’émeute du 13 mai 1839 une proclamation furibonde : « Citoyens ! Le tyran n’est plus ! La foudre populaire l’a frappé… Peuple… mets nus tes bras : qu’ils s’enfoncent tout entiers dans les entrailles de tes bourreaux[1] ! » Avant de se rendre auprès de celui qu’il devait trahir plus tard, dans les notes secrètes qu’il adressait du Mont-Saint-Michel à la

  1. Les Ancêtres de la Commune ; l’attentat Fieschi. Chap. XVIII : « Les œillets rouges ». Paris, Hachette, in-8o, 1877.