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Pépin, on fit construire un châssis en bois que l’on arma de vingt-quatre canons de fusil auxquels Fieschi devait mettre le feu au moment où le roi se présenterait devant sa maison, sise au boulevard du Temple, en passant, le 28 juillet, la revue de l’armée et de la garde nationale. Un quatrième complice, Boireau, garçon évaporé et de mœurs douteuses, sembla n’avoir été choisi que pour entraîner les recherches de la police sur une fausse piste. La veille de l’attentat, Boireau s’était promené à cheval sur le boulevard, afin que Fieschi pût prendre son point de mire : cette précaution de l’assassin sauva le roi, qui, marchant près du trottoir, par conséquent dans la partie déclive de la chaussée, se trouva placé en dessous du point de mire déterminé par la hauteur d’un cavalier arrêté sur la partie la plus élevée, sur le dos même de la chaussée.

Morey avait dit à ses complices que les « sections », prévenues, feraient une révolution, aussitôt que la mort du roi serait connue. Les sections, en effet, étaient convoquées ; le signe de ralliement était un œillet rouge ; mais la convocation était vague, et, quoique les affiliés fussent à leur poste de combat, nul d’entre eux ne savait quel événement allait se produire. Fieschi, Pépin, Boireau n’étaient point en contact avec les hommes d’action, avec les chefs des comités secrets ; Morey seul pouvait révéler le projet régicide ; mais il s’en garda bien, car il était prudent et savait que le meilleur moyen de ne pas mal placer ses confidences est de n’en point faire. Il ne s’ouvrit sans réserve qu’à un seul homme, à Godefroy Cavaignac, dans l’énergie duquel il avait une confiance illimitée et peut-être exagérée. Godefroy Cavaignac et Recurt avaient déjà quelques soupçons, car Pépin, allant les voir à Sainte-Pélagie, leur avait demandé des fusils, pour « tuer le tyran ».

Le 12 juillet, vingt-huit détenus politiques s’évadèrent de Sainte-Pélagie, et la plupart se rencontrèrent, le 14 juillet, au Palais-Royal, chez le restaurateur Corraza, à un repas commémoratif de la prise de la Bastille. Morey s’y trouvait et ne cacha rien à Godefroy Cavaignac, qui approuva et promit de mettre les sections sur pied ; c’est tout ce qu’il voulait. Les détails fournis à Godefroy Cavaignac étaient précis, et le lieu de l’attentat lui avait été désigné. On résolut de se tenir à portée de l’endroit choisi pour l’exécution du crime, afin de soulever le peuple en criant : « Vive la Répu-