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se rendit à Londres, où Canning éleva quelques objections contre un si beau projet. En sous-main, l’Angleterre soutenait les insurgés ; Charles X et Ferdinand VII ne voulaient point entendre parler d’abdication en faveur de l’infant ; l’infant lui-même ne se souciait pas beaucoup d’aller guerroyer contre Vera-Cruz et Puebla. Le rêve d’un nouvel empire hispano-mexicain s’évanouit, et Crouy-Chanel passa au Portugal, où il continua son métier d’entremetteur politique. Après la révolution de Juillet 1830, il s’attacha au roi détrôné, qui l’employait à Paris ; en quelle qualité, nous venons de le dire.

Plus tard, Crouy-Chanel se fit présenter au prince Louis-Napoléon et le chambra si bien que, du mois de mai au mois de septembre 1839, il lui extorqua cent cinquante mille francs. Louis-Napoléon était crédule et s’imaginait que la France n’attendait que lui. Les exploiteurs — il y en eut beaucoup autour de lui — flattaient sa manie et vidaient sa bourse. Le prétendant s’aperçut que son agent l’exploitait, et lui donna congé ; mais la brouille ne fut pas longue, et, lors de la tentative de Boulogne-sur-Mer, on était réconcilié. Crouy-Chanel a raconté un fait dont je ne parlerais pas, si un écrivain sérieux, Élias Regnault, ne l’avait rapporté dans son Histoire de huit ans. Lorsque Louis-Napoléon résolut de s’embarquer en Angleterre et de partir pour conquérir la France, en compagnie de quelques écervelés, il confia son projet à Crouy-Chanel et le chargea d’aller à Saint-Pétersbourg demander à l’empereur Nicolas si une telle expédition ne serait point blâmée par lui et si l’alliance de la Russie était assurée à celui qui, bientôt, pouvait être Napoléon III. Nicolas haïssait et méprisait Louis-Philippe, auquel il ne pardonnait pas d’avoir usurpé un trône qu’il aurait dû, en parent loyal, assurer au duc de Bordeaux, après la double abdication du roi et du dauphin.

Crouy-Chanel a prétendu que l’empereur Nicolas avait approuvé l’entreprise et qu’il se serait engagé, dans le cas où l’événement répondrait à ses désirs, à être non seulement l’allié du prince Louis, mais à lui accorder la main de sa fille, la grande-duchesse Olga, qui était alors, comme dans les contes de fées, la plus belle princesse blonde que l’on eût jamais vue[1]. Je ne crois pas à la confidence de Louis Bona-

  1. La grande-duchesse Olga a été visée par plus d’un prétendant. La duchesse de Berry, prisonnière à la citadelle de Blaye, écrit à