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carrière, car il fut mêlé à des incidents qui touchent de près à notre histoire. Sans pouvoir l’affirmer, je crois bien qu’il n’était ni marquis, ni Crouy, et qu’il s’appelait simplement Chanel ; c’est du moins ce qui semble résulter d’un arrêt de la Cour royale, en date du 12 mai 1821, rendu à la requête de la famille de Croï d’Havré. C’était un intrigant, à la fois besogneux et hardi, qui ne reculait ni devant les fatigues, ni devant les risques pour parvenir à son but ; il était ambitieux et pauvre, il aimait les grandeurs et visait la fortune. Il se mettait volontiers au service des prétendants qui cherchaient un trône, en attendant qu’il en demandât un pour lui-même. En 1832, il était tout près d’avoir quarante ans, et son existence avait déjà traversé plus d’une aventure.

En 1821, il avait été un agent de l’insurrection grecque, auprès du duc de Richelieu ; en 1823, il fait réussir un emprunt espagnol, reçoit un million de courtage, obtient la concession des fabriques royales de drap de Guadalajara et s’y ruine en partie. À ce moment, il s’établit dans un hôtel de la place Vendôme, y reçoit « la ville et la cour », s’essaie à jouer un rôle politique et se fait rire au nez quand il demande à être nommé pair de France. Ses ressources étant épuisées, il retourne en Espagne avec une mission secrète du comte de Villèle. Les colonies espagnoles s’étaient soulevées ; afin de sauver les possessions les plus importantes et de rattacher les conquêtes de Cortez à la Couronne d’Espagne, Crouy-Chanel est chargé d’obtenir de Ferdinand VII que l’infant don François de Paule, son frère, soit proclamé empereur du Mexique ; Ferdinand refuse parce qu’il ne veut pas abdiquer son titre de roi des Indes.

Crouy-Chanel ne s’embarrasse pas pour si peu et devient l’agent direct de l’infant, auquel il bâcla, à Paris, un gouvernement qui n’avait plus qu’à se transporter à Mexico pour être au Mexique. Consulta-t-il les personnages dont il a prononcé les noms, obtint-il leur assentiment ? On en peut douter, mais le futur successeur de Montezuma acceptait sans hésiter un ministère d’inauguration, qui était composé de : le baron Alexandre de Talleyrand, aux Relations étrangères ; le duc de Dino, maréchal de camp, à la Guerre ; le capitaine de vaisseau Gallois, à la Marine ; le comte de La Roche-Aymon, major général de l’Armée. Pour faire réussir cette combinaison, il fallait de l’argent ; Crouy-Chanel