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alors, une moitié était médisance et l’autre moitié calomnie.

Le mardi 9 août, le Corps législatif se réunit ; j’avais déjeuné chez Maurice Richard ; nous parlâmes d’Émile Ollivier, qui ne doutait pas du succès final et ne comprenait pas que l’on témoignât tant d’émotion pour un revers : si la guerre n’était qu’une série de succès, on n’aurait pas grand mérite à la faire. J’imagine que l’on prenait une si tranquille attitude pour la galerie, que le cœur avait cessé d’être « léger » et que l’on dissimulait bien des angoisses derrière une assurance que l’on n’éprouvait pas. Cependant rien dans les paroles de Maurice Richard ne me fit supposer que le ministère croyait à sa chute ; Ollivier et lui s’attendaient à une séance orageuse, mais ne soupçonnaient pas qu’elle serait décisive pour leur existence ministérielle.

En réalité, la séance ne fut qu’un échange d’injures, suivi de l’expulsion du ministère ; on ne le renversa pas, on le mit à la porte. La cause était perdue d’avance ; elle était difficile à défendre ; Ollivier s’y évertua cependant avec une maladresse qui pourrait porter un autre nom. Il promit une revanche prochaine à notre armée et, sentant l’hostilité gronder autour de lui, il porta l’attaque dans le camp de ses adversaires ; il dit : « Aux ressources dont ils disposent, les Prussiens espèrent ajouter celles qui naîtraient de troubles dans Paris. » Cette allégation, qui était, en quelque sorte, une prophétie que la journée du 4 septembre allait bientôt réaliser, souleva un tumulte formidable. Lorsque le silence fut à peu près rétabli, Ollivier sembla sommer la Chambre de se placer derrière le ministère. La tempête éclata de nouveau ; une proposition signée de quatorze députés demanda que la présidence du Conseil fût confiée au général Trochu. C’est la première fois que ce nom apparaît.

Jules Favre monta à la tribune et d’un mot dévoila les pensées ou les menées secrètes de ceux qui devaient former bientôt le Gouvernement de la Défense nationale : « Il faut que l’Empereur abandonne le quartier général ; ce n’est pas tout : il faut, si la Chambre veut sauver le pays, qu’elle prenne en main le pouvoir. » La discussion était parvenue à ce point de violence que Paul Granier de Cassagnac, impérialiste excessif, put dire : « Cet acte est un commencement de révolution tendant la main à un commencement d’invasion. Les Prussiens vous attendaient ; si j’avais le pouvoir, vous seriez dès aujourd’hui devant un conseil de guerre. » Un