Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

6 août 1871, un an après la bataille de Wœrth, le feld-maréchal de Moltke se rendit sur le terrain du combat, à la tête d’un groupe d’officiers faisant service dans l’État-Major ; il expliqua les péripéties de la lutte, fit la lumière sur bien des mouvements que l’on avait exécutés sans les comprendre et, terminant sa démonstration, il dit : « Si les Français avaient eu seulement 50 000 hommes en réserve, nous étions perdus. »

À la nouvelle de ces désastres, Paris fut dans la stupeur. On était allégrement parti pour Berlin et tout à coup, en l’espace d’une seconde, on reconnaissait que Paris pouvait être menacé. Le choc fut dur, si dur que l’on en perdit la tête, et je ne suis pas certain qu’on l’ait retrouvée pendant cette guerre maudite. Le plus grand malheur qui peut frapper une nation envahie ne nous fut point épargné. Toute direction disparut, ou, ce qui revient au même, il y eut plusieurs directions, contradictoires les unes aux autres, et par conséquent funestes. Puis la voix publique s’en mêla, la voix publique mauvaise conseillère, qui répète, comme un écho inconscient, tous les bruits, toutes les fables, tous les bavardages, et qui n’est faite que des rumeurs de la foule ignorante.

C’est la voix publique que l’on a écoutée lorsque l’on nomma le maréchal Bazaine commandant en chef de l’armée sous Metz, armée vigoureuse, bien animée et qui était le dernier, pour ne pas dire le seul espoir de la France. L’Empereur, par le fait, était déchu de son commandement ; ni souverain, ni général, il errait comme une âme en peine, déjà conspué par le peuple, à peine obéi par les officiers de sa maison, souffrant, dissimulant ses souffrances et semblable à ce roi d’Espagne dont parle Ruy Blas :

Courbant son front pensif sur qui l’empire croule.

Il ira ainsi jusqu’au dénouement, sans résolution, presque sans volonté. Sous la pression de Bazaine, qui ne voit en lui qu’un obstacle et le pire des impedimenta, il quittera le quartier général. Il ne peut rentrer à Paris ; l’Impératrice régente ne veut pas de lui ; sa présence seule serait un péril et soulèverait

    rêvé par Napoléon est dépassé et bien au-delà. Il ne manque pas un homme. Nous serons dans la proportion de quatre contre un, en admettant même que les Français soient 350 000. Derrière l’armée française, il n’y a qu’une faible réserve d’un tiers de son effectif. Derrière l’armée allemande, il y a des centaines de milliers de soldats bien exercés. »

    Cet article n’était que l’expression de la vérité.