Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Bonaparte, et le comte Blücher nous dit : « Le duc de Reichstadt n’est pas mort naturellement. Il avait été fort malade et avait longtemps souffert d’une fluxion de poitrine, qu’il semblait avoir provoquée en se promenant au Prater, en voiture découverte, par une froide soirée du mois d’avril. Il allait mieux, sa mère était près de lui, on faisait les préparatifs de son prochain voyage en Italie, lorsque le mal prit tout à coup de la gravité et l’enleva en quelques heures. Ce qui l’a tué, ce n’est ni sa faible constitution, ni l’abus des plaisirs, comme on l’a dit, c’est l’état de l’Europe. L’Italie, l’Allemagne, la France s’agitaient ; la Prusse rhénane, le Palatinat bavarois, le Luxembourg cherchaient à redevenir français ; à Paris, dans les villes de garnison, les bonapartistes liaient partie dans les casernes ; le duc de Reichstadt était en relation avec des affiliés de complot, il avait des correspondances mystérieuses que l’on surveillait ; il était inquiet, troublé et manifestait l’impatience de ce qu’il appelait l’infériorité de son état. Le prince de Metternich eut peur ; il comprit que si le fils de Napoléon Ier montait sur le trône de France, c’en était fait de la paix européenne et de ce qui restait de la Sainte-Alliance ; il sut faire partager ses craintes à l’empereur François, qui était un esprit débile, et le duc de Reichstadt mourut brusquement. » Je répète ce récit, tel que je l’ai écouté, tel que je l’ai noté sur l’heure, et je me donne garde de le garantir. Je vis depuis assez longtemps pour savoir que la mort des hauts personnages, des personnages redoutables, n’est jamais attribuée à une cause naturelle.

L’impératrice Marie-Louise, la mère du roi de Rome, qui devint duchesse de Parme et l’épouse morganatique du comte de Neipperg, mourut elle-même d’une mort violente que l’on cacha avec soin. Ce n’est pas au comte Blücher que je dois le récit de cette aventure, c’est à Joseph Piétri, qui m’a affirmé l’avoir recueilli directement de Napoléon III, dans un de ces moments d’expansion auxquels cette nature taciturne s’abandonnait parfois avec ses confidents intimes. On sait avec quelle science, sur l’ordre du prince de Metternich, l’impératrice Marie-Louise, revenue à Vienne après les événements de 1814, avait été démoralisée par ses entours. On réussit mieux sans doute que l’on n’aurait voulu, car, au lieu d’atténuer seulement chez elle le souvenir de Napoléon, on détermina des goûts qui dégénérèrent en besoins maniaques.