Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

française, c’est tout un et ça peut se mettre dans le même sac, ça ne se querellera pas.

À Vienne, l’impression fut profonde, car l’on y comprit que la défaite de la France porterait contrecoup à l’Autriche, qui serait contrainte d’ajourner toute velléité de revanche et qui sentirait peser sur elle l’Allemagne, dont le poids seul la neutraliserait. L’archiduc Albert, celui-là même qui, dans ses conférences avec le général Lebrun, avait préparé un plan de campagne, en cas d’alliance effective entre François-Joseph et Napoléon III, estima que l’occasion était bonne de rendre à la maison de Habsbourg une partie des possessions dont elle avait été dépouillée. Pendant que la France et l’Allemagne se heurtaient sur les champs de bataille, que la Russie surveillait le combat et que l’Angleterre s’en désintéressait, la route du Sud était libre et ouverte aux revendications. L’archiduc Albert proposa à l’empereur d’Autriche de s’y précipiter, de déboucher par le Tyrol, d’arracher à Victor-Emmanuel la Vénétie, la Lombardie, de le rejeter en Piémont et de rendre aux princes dépossédés la Toscane, les Légations et le royaume de Naples, en un mot de rétablir l’Italie telle qu’elle était avant la guerre de 1859.

L’aventure avait de quoi tenter et l’on peut affirmer qu’elle eût réussi. Abandonnée à ses seules forces, l’Italie n’était pas, n’a jamais été de taille à se mesurer contre l’Autriche. François-Joseph fut plus sage que l’archiduc et ne voulut pas rentrer dans la galère italienne. Trop longtemps, dans son propre intérêt, la monarchie autrichienne avait traîné le boulet de la conquête : par point d’honneur, elle avait lutté afin de le garder rivé à son pied ; aujourd’hui elle en était débarrassée et s’en trouvait bien. Le roi de Hongrie refusa d’aller chercher encore la couronne de fer à Milan. L’archiduc Albert n’en parla plus et resta attristé de la victoire prussienne, qui diminuait son pays, en frappant le nôtre au cœur.

Je n’ai pas oublié et je n’oublierai jamais cette journée du 6 août 1870, qui commença par un chant de triomphe et se termina dans une angoisse vague dont on était oppressé, sans que l’on pût en réalité dire pourquoi, car nulle information venue du quartier général n’avait été communiquée au public. Le mercredi 3 août, on avait crié dans les rues de Paris : « La première victoire des Français ! » C’était l’insignifiante escarmouche de Sarrebruck, qui n’eut et ne pouvait