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brusquerait la paix selon son habitude et la ferait au détriment de la monarchie austro-hongroise ; il ajouta que les ressentiments de Solférino et de Magenta n’étaient plus de saison, que la sécurité, la grandeur de l’Autriche seules étaient à considérer et que, malgré les injonctions de la Russie, il ne fallait point hésiter à serrer l’alliance offensive et défensive avec Napoléon III.

Le comte Vitzthum était de bonne foi, j’en suis persuadé, mais il ne lui déplaisait peut-être pas de flatter la passion de son souverain, et il ne pouvait ignorer qu’il prêchait un converti. En effet, François-Joseph n’avait qu’un rêve : se venger de la Prusse qu’il haïssait et repousser à un rang inférieur cette puissance, cette parvenue que son orgueil avait si longtemps regardée comme une sorte de vassale de sa maison. L’empereur d’Autriche abonda dans le sens des observations, qu’il écoutait d’une oreille prévenue, et déclara que le comte de Beust était trop timide, que les menaces de la Russie n’iraient pas au-delà des paroles et qu’il était décidé, pour sa part, à entrer en ligne dès qu’une occurrence favorable lui serait offerte. Il autorisa le comte Vitzthum à remettre confidentiellement une note dans ce sens au duc de Gramont.

Pour celui-ci, la note secrète détruisait la dépêche officielle du comte de Beust, que le prince de Metternich s’était décidé à communiquer ; c’est pourquoi, frappant sur le tiroir de son bureau de travail et répondant à des députés qui l’interrogeaient sur l’attitude de l’Autriche, il disait : « J’ai ici la preuve que nous pouvons compter sur elle et nous fier à sa loyauté. » Hélas ! il n’avait qu’une note personnelle émanant d’un souverain constitutionnel ; cette note n’avait donc qu’une valeur douteuse, que les événements allaient rendre illusoire ; mais c’est sur cette note que le duc de Gramont s’est appuyé pour dire qu’il avait eu en main l’engagement de l’Autriche et que l’Autriche l’avait trompé.

L’Italie ne jouait pas double jeu, mais elle jouait deux jeux contradictoires et parallèles, ce qui se produit souvent dans les États parlementaires dont le souverain cherche à conserver ses prérogatives. Le président du Conseil des ministres, qui siégeait alors à Florence, était Visconti-Venosta — le bel Emilio, — gendre d’Alfieri[1], élève de Rica-

  1. Alfieri (Carlo), 1827-1897. Homme politique, de la famille