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Alexandre II, se le tint pour dit, et, quoiqu’il eût le cœur irrité contre la Prusse qui avait asservi la Saxe, sa patrie réelle, et rejeté hors de la Confédération germanique l’Autriche, sa patrie d’adoption, il se résigna à n’être que spectateur du combat prochain. Il écrivit au prince de Metternich, son ambassadeur à Paris, qu’il eût à prévenir Napoléon III que l’Autriche, pour les motifs qu’il énumérait, était forcée de se désintéresser de la lutte près d’éclater entre la France et l’Allemagne. Metternich, qui, dans ses conversations avec l’Empereur, dans ses causeries intimes avec l’impératrice Eugénie, avait sinon promis, du moins fait espérer un concours empressé, resta perplexe et ne se hâta pas de transmettre la dépêche à qui de droit ; peut-être croyait-il que le conflit serait apaisé, peut-être comptait-il sur un revirement de la politique autrichienne.

Sur ces entrefaites, le ministre plénipotentiaire d’Autriche à Bruxelles, le comte Vitzthum, arriva à Paris et alla, au débotté, faire une visite au prince de Metternich. J’ai connu le comte Vitzthum à Baden, où il possédait une villa quasi royale, et c’est lui qui, en 1885, m’a donné connaissance des faits que je raconte[1]. Metternich lui fit lire la lettre du comte de Beust, en le priant de n’en dire mot à quiconque. Vitzthum fut surpris de la décision de son chef hiérarchique, car pour lui la victoire de la France n’était pas douteuse ; il avait vu nos régiments en marche, avait eu à Bruxelles l’écho de l’enthousiasme parisien, et il était convaincu que l’intérêt de l’Autriche était de se joindre à nous.

Il se résolut à faire une démarche directe auprès de François-Joseph. Je n’ai jamais su si le prince de Metternich l’y avait encouragé, ni même s’il en avait reçu confidence. Le comte Vitzthum partit immédiatement pour Vienne, où il ne vit pas le comte de Beust, et se rendit à Schœnbrunn. Il dit à l’empereur d’Autriche que l’attitude et les préparatifs de la France étaient un sûr garant du succès, que l’occasion de venger les humiliations de 1866 était propice, qu’il fallait lier partie avec le vainqueur futur, avec le vainqueur assuré, qui, sans cela, après deux ou trois batailles gagnées,

  1. Le comte Karl Friedrich Vitzthum von Eckstädt est Saxon ; il a été secrétaire de légation à Vienne et ministre plénipotentiaire de Saxe en Angleterre. En 1867, il est entré au service du gouvernement autrichien. Il a déjà (1889) publié trois volumes de Mémoires qui, au milieu d’un fatras de digressions inutiles, renferment quelques faits intéressants.