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dans laquelle l’Empereur disait : « La guerre sera longue et difficile. » Un homme s’écria près de moi : « Longue et difficile ! En voilà des bêtises ; dans un mois nous serons à Berlin. » Émettre un doute eût paru criminel. On parlait de nos alliances avec une raideur d’affirmation qui ne supportait même pas l’expression d’un doute ; on colportait les paroles prononcées par le duc de Gramont, et de jour en jour on s’attendait à apprendre l’entrée en ligne des Italiens et des Autrichiens. Le 15 juillet, dans la soirée, une commission parlementaire était réunie pour entendre les ministres ; le duc de Gramont se fit attendre et, arrivant enfin, il s’excusa de son retard. « J’avais chez moi, dit-il, les ambassadeurs d’Autriche et d’Italie ; j’espère que la commission ne m’en demandera pas davantage. »

Metternich et Nigra s’étaient en effet rendus au ministère des Affaires étrangères, mais isolément, l’un après l’autre, et sans avoir concerté leur démarche ; tous deux virent Gramont en tête-à-tête et sans s’être donné le mot ; ils lui tinrent le même langage ; ils ne vinrent pas lui dire : « Nous voilà, disposez de nous », mais ils lui dirent : « Votre précipitation nous paralyse ; à quoi bon, dans quel but, courir au-devant de la bataille ! Négociez, traînez le temps ; nous ne sommes pas prêts ; avant que nous ayons pu nous mettre sur le pied de guerre, des semaines se passeront ; il est sage, il est peut-être prudent de ne pas laisser les événements nous gagner de vitesse, afin que nous puissions y prendre part. » Ces conseils, le duc de Gramont les avait écoutés avec une courtoisie qui cachait de l’impatience ; et la réticence, un peu trop diplomatique, de l’allusion qu’il fit de son entrevue avec les représentants des gouvernements d’Autriche et d’Italie était de nature à faire croire à des alliances qui, en réalité, n’existaient pas.

Plus tard, bien après l’effondrement, le duc de Gramont a plaidé pro domo sua, dans diverses brochures, qu’il signait du pseudonyme d’Andréas Memor. Il a prétendu qu’il avait été joué par l’Autriche, qui s’était engagée à faire cause commune avec la France contre l’Allemagne et qui, au dernier moment, l’avait abandonnée. On a protesté à Vienne contre ces allégations et l’on a accusé le duc de Gramont de se tromper volontairement ; on a eu tort ; il a pu être de bonne foi, car il y eut deux négociations distinctes que je suis en mesure de faire connaître et dont une, celle