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aïeule, mais de formidable conséquence. Paris était joyeux ; on y chantait La Marseillaise, Le Rhin Allemand, Le Chant des Girondins et puis je ne sais quelle turlutaine de circonstance où l’on disait :

Ah ! Guillaume, ah ! mon gros papa,
Tu vas tomber le nez dans ton caca.

Cela faisait rire ; les gamins braillaient cette ordure sur le boulevard ; on en était obsédé. L’esprit de la population était très exalté. Ceux qui, depuis la défaite, ont dit que le peuple n’avait pas acclamé la guerre se sont trompés, involontairement ou non. L’idée d’une lutte avec la Prusse a été très populaire. Tout mauvais cas est niable, je le sais, mais non pour l’historien qui s’efforce de ne point sortir de la vérité et qui parle si longtemps après les événements qu’on ne peut le soupçonner de subir d’autre impulsion que celle de l’esprit de justice. Les bandes qui parcouraient les rues en criant : « À Berlin ! » étaient sincères. L’âme belliqueuse de la vieille Gaule était en elles ; il est dans la nature des Français de dresser l’oreille au bruit du tambour et de frémir de joie à la sonnerie des clairons.

Je sais qu’il y eut une contre-manifestation, mais si minime, en nombre si disproportionné, que je n’en parlerais pas si plus tard on n’en avait voulu tirer parti dans l’intérêt d’une mauvaise cause et si elle n’avait été suscitée dans un but exclusivement politique. Dans la faction intransigeante et dans certains groupes orléanistes, on ne doutait point des victoires de l’armée française, mais on était persuadé que l’Empereur en profiterait pour ressaisir toute l’autorité dont il s’était départi en faveur du Corps législatif. C’est pourquoi, sur les boulevards et sur la place Vendôme, quelques troupes d’hommes, que du reste la population huait et faisait taire, ont crié : « Vive la paix ! » Des personnages très mêlés au mouvement politique de cette époque, Jules Simon, Eugène Pelletan[1], le comte d’Haussonville[2], Peyrat[3], Lan-

  1. Pelletan (Eugène), 1813-1884. Député républicain au Corps législatif de 1864 à 1870, membre du Gouvernement de la Défense nationale, député à l’Assemblée nationale (1871), puis sénateur (1876). (N. d. É.)
  2. Haussonville (Bernard de Cléron, comte d’), 1809-1884. Écrivain et homme politique, reçu à l’Académie française en 1865. (N. d. É.)
  3. Peyrat (Alphonse), 1812-1891. Rédacteur au National et à La Presse, directeur de L’Avenir national. Député à l’Assemblée nationale de 1871, sénateur en 1876. (N. d. É.)