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nouvelle de la renonciation du prince Hohenzollern a été officiellement donnée au gouvernement français par celui de Madrid, l’ambassadeur français a fait demander au roi Guillaume de l’autoriser à télégraphier à Paris que S. M. le roi s’obligeait pour l’avenir à ne jamais donner son consentement aux Hohenzollern, dans le cas où ceux-ci reviendraient sur leur renonciation. S. M. le roi a refusé alors de recevoir encore une fois l’ambassadeur français, auquel il a fait savoir, par l’aide de camp de service, qu’il n’avait plus rien à lui communiquer. »

Cette note est inexacte, comme la plupart de celles que donnent les journaux qui n’ont aucun moyen de contrôle à leur disposition. On a intentionnellement interverti l’ordre des faits : le 12 juillet dans la soirée, Benedetti, muni du télégramme qu’il venait de recevoir, demanda audience au roi, qui lui fit répondre par son aide de camp qu’il le verrait le lendemain, à la gare, avant de partir[1]. L’information des journaux se trompait donc et se trompait sans doute à bon escient, car on a prétendu, et rien n’a démenti cette supposition, que cette note mensongère émanait de Bismarck, qui, connaissant à fond le tempérament français, pensait qu’une telle affirmation ne passerait pas inaperçue.

Le duc de Gramont ne demanda pas d’éclaircissements ; Émile Ollivier, devenu belliqueux jusqu’à l’absurde et ne vivant plus que dans le rêve des victoires prochaines, admit l’information sans même la discuter ; hélas ! il fit plus ; il la présenta au Corps législatif comme une note diplomatique, c’est-à-dire officielle, expédiée au gouvernement français par le Cabinet de Berlin. De la sorte, une erreur — un mensonge — de journal sans autorité, sans responsabilité, devenait une insulte méditée, adressée par le souverain de la Prusse au souverain de la France. La passion seule commandait, tout espoir d’un arrangement encore possible

  1. Depuis que ces lignes ont été écrites (août 1887), on a publié (septembre 1888) les trois volumes de Louis Schneider : L’Empereur Guillaume. Souvenirs intimes revus et annotés par l’Empereur sur le manuscrit original. Je trouve, dans le tome II (p. 137), la confirmation de mon récit : « Pourtant, à son départ d’Ems, le monarque ne croyait pas encore à toute la gravité de la situation ; il avait même tendu très amicalement la main à M. Benedetti, en prenant congé de lui à la gare ; il ne considérait donc en aucune façon sa dignité comme atteinte par les démarches pressantes de l’ambassadeur, ainsi que toute l’Allemagne en eut l’impression quand elle se laissa emporter par la colère. »