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discours, de ripostes, de violences, l’Empereur dit : « Je suis un souverain constitutionnel, je dois me soumettre à la majorité du Conseil. » Puis, attirant à lui une feuille de papier, il écrivit : « M. Conti, télégraphiez en chiffre à Fleury ; C’est la guerre. » Conti était chef du cabinet de l’Empereur ; le général Fleury était ambassadeur de France à Pétersbourg.

Le soir même, le duc de Gramont expédia par le télégraphe à Benedetti l’ordre d’exiger du roi de Prusse l’engagement de ne plus autoriser de nouveau la candidature du prince Léopold de Hohenzollern au trône d’Espagne ; c’était une mise en demeure qui, après la renonciation déjà accordée sans discussion, ressemblait à une insulte. Benedetti, fort ému, se présenta au roi Guillaume, qui était près de quitter Ems pour aller rejoindre la reine Augusta à Coblence. On a prétendu, et Bismarck qui s’est trompé volontairement — en un mot, qui a menti — a laissé croire que le roi de Prusse avait malmené notre ambassadeur et lui avait même fait interdire sa porte par un de ses aides de camp. Le roi Guillaume était un homme très bien élevé, de façons courtoises, incapable de manquer de politesse envers qui que ce soit, surtout envers un personnage revêtu du caractère diplomatique.

La vérité, que je tiens du prince Antoine Radziwill[1], qui était aux côtés du roi, est tout autre. Benedetti, assez embarrassé, fit sa communication. Le roi l’écouta et ne put dissimuler un geste de surprise ; il dit : « Je ne puis rien ajouter à ce que vous savez déjà ; mon gouvernement continuera les négociations qui pourraient être poursuivies. » Ce fut tout ; ceci se passait sur la promenade d’Ems ; le roi s’éloigna, après avoir donné une poignée de main à notre ambassadeur. Telle fut la scène dans laquelle Émile Ollivier et Gramont s’efforcèrent de voir une nouvelle injure pour la France. À cet égard, on peut s’en rapporter à Benedetti, qui, dans son livre : Ma Mission en Prusse, a écrit : « Il n’y eut à Ems ni insulteur ni insulté. »

Il se peut qu’Ollivier ait été de bonne foi, car les journaux allemands publièrent immédiatement une information dont je prends le texte dans le Tableau historique de la guerre franco-allemande (Berlin, chez Stilke et Van Muyden, 1871), afin d’être certain de ne pas attribuer à l’Allemagne un mauvais procédé qu’elle n’aurait pas eu : « Après que la

  1. Radziwill (Antoine, prince), 1833-1904. Il était aide de camp de Guillaume Ier. (N. d. É.)