Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/284

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La Chambre ne fut pas satisfaite et le fit voir ; l’argumentation dont on battit la théorie du ministère équivalait à ceci : le prince Antoine n’est en somme qu’un particulier, dont la volonté n’a aucune valeur diplomatique, et ne peut, sous aucun prétexte, exercer d’influence sur les relations de deux grandes nations ; la renonciation Hohenzollern n’aura d’importance que si elle est revêtue de la confirmation du roi de Prusse, qui s’engagera, par acte de chancellerie, à ne jamais permettre qu’un prince de sa maison soit appelé à régner sur l’Espagne. Ollivier riposta mollement. La Chambre fut indécise, ne se sentant pas apte à prendre une résolution, lorsque Clément Duvernois déclara qu’il allait interpeller le ministère sur les garanties qu’il comptait stipuler pour l’avenir. Immédiatement après, le baron Jérôme David déposait une interpellation « sur la lenteur dérisoire des négociations avec la Prusse ». C’était dire à Ollivier que nulle action diplomatique n’avait été engagée sur la question ; que les pourparlers avec les Hohenzollern étaient illusoires ; qu’une puissance comme la France ne se contentait pas d’une lettre particulière, qu’elle exigeait un contrat authentique et que lui, garde des Sceaux, président du Conseil des ministres, ne savait point son métier.

Après la séance, les ministres se rendirent à Saint-Cloud, où fut tenu un Conseil que présida l’Empereur ; pendant deux heures, on discuta. Napoléon III, triste, pacifique, ne cachait pas son opinion : demander un engagement pour l’avenir au roi de Prusse, c’était s’exposer à un refus certain, et le refus entraînait la guerre ; or cette guerre, il ne la jugeait pas imposée par les circonstances et il la croyait non seulement inopportune, mais périlleuse. Un seul ministre, Ségris, chargé du portefeuille des Finances, combattait pour la paix et demandait énergiquement qu’elle ne fût point troublée à propos d’une question qui jamais n’aurait dû sortir du domaine diplomatique.

Tous les autres ministres argumentaient à qui mieux mieux pour démontrer que, si la France n’en appelait aux armes, elle descendait au rang de puissance de second ordre. Le maréchal Lebœuf, presque furieux, disait : « Jamais on ne retrouvera si propice occasion de reprendre le Rhin ; nous sommes prêts, archi-prêts, nous avons huit jours d’avance sur la Prusse ; la lutte dût-elle durer deux ans, nous n’aurions pas un bouton de guêtre à acheter. » Après deux heures de