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annonçant le retrait de la candidature Hohenzollern ; le Cabinet espagnol avait fait savoir qu’il l’abandonnait spontanément. Un Conseil des ministres fut tenu aux Tuileries, à 10 heures du matin, sous la présidence de l’Empereur, qui était venu exprès de Saint-Cloud. On lut les dépêches d’Ems et de Madrid ; elles parurent satisfaisantes ; l’incident fut considéré comme clos, malgré la mauvaise humeur manifestée par le ministre de la Guerre, qui était le maréchal Lebœuf ; c’est à peine si quelques observations furent produites ; la renonciation dans sa forme et son fond fut acceptée, car elle était jugée suffisante ; l’Empereur dit : « C’est la paix. » Les ministres se séparèrent avant onze heures et se donnèrent rendez-vous au Corps législatif à deux heures pour communiquer la bonne nouvelle qui, du reste, s’était déjà répandue dans Paris, dès le matin, et donna lieu à des spéculations désordonnées.

Entre midi et deux heures, la situation se modifia et l’on m’a dit — sans que j’aie jamais pu contrôler l’exactitude du renseignement — qu’elle se modifia sous l’influence et par l’intervention directe de l’Impératrice. Je ne serais pas surpris que la version méritât créance, car cette malheureuse femme, aussi futile en politique que dans la vie mondaine, déclarant depuis 1866 à qui voulait l’entendre que la France catholique ne pouvait supporter le voisinage d’une grande puissance protestante, s’engouant d’idées qu’elle était incapable d’approfondir, rêvait la conquête du Rhin, pour assurer la couronne à son fils. Répétant sans le savoir le mot qu’en 1807, à la veille d’Auerstædt et d’Iéna, la reine Louise avait prononcé devant Gentz, elle disait : « C’est ma guerre. » Ce fut sa guerre, en effet, si ce que j’ouïs raconter est vrai, comme je l’ai entendu affirmer par un des hauts fonctionnaires des Tuileries.

Le système inauguré par Émile Ollivier ne lui plaisait pas, elle le subissait à contrecœur et avec une arrière-pensée. La liberté n’était point pour convenir à son esprit étroit et absolu. Elle s’en moquait volontiers et les gens de son intimité faisaient chorus. Elle envisageait sans trouble l’éventualité d’une régence prochaine, pendant la minorité du Prince impérial, mais cette régence, elle désirait avoir à l’exercer dans des conditions de pouvoir peu contrôlé et surtout moins

    est suffisante. » (Raconté par le général de Lœ, qui le tient du général Reille.)