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ni même de le diriger. On ne connaît pas Bismarck ; il cassera tout, plutôt que de céder, même en ayant l’air de céder ; que le diable emporte la reine Isabelle et son Marfori[1] ; si elle ne s’était pas fait détrôner, nous n’aurions pas telle complication sur les bras. En somme, c’est un simple accroc qui se peut raccommoder ; il suffit d’avoir quelque sagesse et d’échanger des notes raisonnables. Mais voilà le malheur ; nous n’avons personne pour nous gouverner. » Je dis très vivement : « Et l’Empereur ? » Mosbourg me répondit : « Il n’est plus le même, et si l’on soulève la question du Rhin, l’Impératrice lui fera perdre la tête, car elle n’a pas d’autre marotte. » Puis, craignant sans doute d’en avoir trop dit, il ajouta : « Garde cela pour toi. »

Deux jours après, le 6 juillet dans la soirée, une dépêche nous apporta le résumé de la déclaration faite au Corps législatif par le duc de Gramont. Il le prenait de haut, de si haut qu’il en est tombé ; l’Empire aussi s’en effondra et l’on en put prendre son parti, mais la France, notre vieille France, en a été mutilée, et de ceci l’on reste inconsolable. Le duc de Gramont, maître diplomatique de notre pauvre pays, déclara que le gouvernement de l’Empereur ne souffrirait pas que, sans le consulter, une puissance étrangère plaçât un prince sur le trône d’Espagne et compromît ainsi l’honneur et la dignité de la France. À ce moment où la diplomatie devait employer toutes ses ressources et toute sa cautèle pour apaiser les esprits et arriver à un compromis honorable, on négligeait toute prudence et l’on faisait appel à la passion publique.

Émile Ollivier renchérit encore et, de sa voix vibrante, il s’écria : « Chaque fois que l’Europe a acquis la certitude que la France était fermement résolue à remplir ses devoirs légitimes, on n’a point résisté aux désirs de la France. » Le comte de Mosbourg avait raison ; on faisait des sottises. Tout concourut à précipiter le dénouement déplorable qu’il eût été si facile d’éviter : la note belliqueuse sonnée par tous les journaux, l’affolement public, le peu de sagesse du pouvoir législatif, l’inanité intellectuelle du ministère. Au sujet de ce dernier, Lord Malmesbury[2], à la page 373 du premier

  1. Marfori (don Carlos), 1828-1892. Favori et principal conseiller de la reine d’Espagne Isabelle. (N. d. É.)
  2. Malmesbury (Harris, comte de), 1807-1889. Homme politique anglais, ministre des Affaires étrangères en 1852 et 1858-1859. (N. d. É.)