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1870 il disait au Corps législatif : « La garde mobile eût été une sorte de Landwehr ; ce projet, qui était celui du maréchal Niel, n’a pas prévalu, et la Chambre a préféré le second système qui n’autorisa que quinze réunions par an, à des jours différents et sous la condition expresse que les jeunes gens ne découcheraient pas. » Le maréchal Lebœuf avait raison, ce système était dérisoire ; on le vit bien au début de l’invasion. Le premier contact des mobiles avec les troupes allemandes se produisit, je crois, en avant de Vitry. Le général ennemi put écrire dans son rapport : « Nous avons rencontré quelques bandes de collégiens, qui ont été rapidement dispersées. »

Les orateurs qui recouraient à de si puérils arguments pour combattre une loi que les événements de 1866 rendaient indispensable n’avaient même pas le mérite de l’invention ; ils ne faisaient que copier, que répéter Robespierre, qui, à la veille de sa chute, le 8 thermidor, disait à la tribune de la Convention : « Ce n’est point par des exploits guerriers que nous subjuguerons l’Europe, mais par la sagesse de nos lois, par la majesté de nos délibérations, par la grandeur de nos caractères. » Il y aurait un livre curieux à faire, que j’indique aux écrivains futurs, sous le titre : « De l’influence de la rhétorique sur les infortunes de la France. » Ce serait, ou peu s’en faut, l’histoire du régime parlementaire. On ne s’en tint pas à la discussion générale de la loi ; tous les ans, 1868, 1869, 1870, on revint sur ce sujet, à propos des demandes de crédits du ministère de la Guerre. C’est en vain que le maréchal Niel adjurait le Corps législatif d’avoir pitié du pays ; il avait beau dire : « Vous pleurerez des larmes de sang, en reconnaissant votre imprudence… J’ai la conviction que dans quatre ou cinq ans vous éprouverez le plus grand regret… », rien n’éclairait des esprits prévenus qui se refusaient à toute lumière et restaient volontairement obscurs. Garnier-Pagès reprend la théorie de la force morale et Émile Ollivier ne se gêne pas pour dire : « Que la France désarme, et les Allemands sauront bien contraindre leur gouvernement à l’imiter. »

Malgré ses supplications, ses objurgations, le maréchal Niel est toujours battu ; son patriotisme éclairé, sa science militaire profonde et sérieuse ne peuvent avoir raison de cette philosophie de bas aloi qui consiste à remplacer les actes par des phrases et à s’affaiblir pour lutter contre la force. À Berlin, on ne perdait pas un mot de ces discussions et l’on