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guerre de 1866 avait démontré chez la Prusse une supériorité redoutable ; l’armement, la discipline, la science militaire, le nombre, résultat d’efforts intelligents et continus, avaient mérité la victoire aux armées du roi Guillaume ; l’armement, il était facile d’y pourvoir ; la discipline, la science militaire échappaient nécessairement à toute autre influence que celle des officiers ; restait le nombre qui, en France, était notablement au-dessous de celui des troupes de l’Allemagne du Nord, et qui devenait dérisoire si l’Allemagne du Sud se réunissait à l’armée que dirigeait M. de Moltke.

L’Empereur n’ignorait point cette infériorité qui, en présence de certaines éventualités, auxquelles il était sage de s’attendre, eût créé un péril inexorable ; il n’en avait fait mystère à personne ; il n’avait pas caché ses craintes, il les avait exposées au pays entier représenté par le Corps législatif, et le pays refusa d’adopter les mesures qui eussent pu le sauver, ou du moins atténuer le désastre. Napoléon III connaissait l’insouciance et la présomption françaises ; il savait que la France, dédaigneuse des forces ennemies, oublieuse des enseignements d’hier, se précipiterait dans l’aventure, sans se détourner pour interroger le passé, sans regarder devant elle pour apercevoir l’avenir, aveuglément, avec son vieil esprit chevaleresque qui ne pense même pas à compter les obstacles, dès que les clairons ont sonné l’appel aux batailles.

Il convient ici de s’arrêter pendant un moment, pour expliquer une des causes, sinon la cause primordiale de nos défaites, et de dire pourquoi, dès la première rencontre, la France a été numériquement inférieure à l’Allemagne, comme un est à trois. Or Napoléon Ier, qui s’y connaissait, a dit : « La victoire est toujours du côté des gros bataillons. » Si les gros bataillons n’ont pas été et ne pouvaient pas être de notre côté, la faute en est au Corps législatif, qui, au cours de la session de 1867, ayant à discuter une nouvelle loi militaire, l’amenda, la modifia, l’émascula si bien qu’elle devint plus qu’inutile, funeste. Cela est si vrai que, dès que la loi fut votée, Bismarck redoubla d’impertinence à notre égard.

En 1866, aussitôt après Sadowa, Napoléon III réunit une commission militaire et lui posa le problème à résoudre : donner à la France une armée de 1 200 000 hommes exercés, sans trop augmenter les charges du budget. L’économie du projet qui répond à cette question est celle-ci : sur la classe