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Berlin. L’inconvénient pouvait devenir grave pour la France et l’on essaya d’y remédier. Ce serait excessif de dire que l’Empereur avait été trompé au cours des pourparlers que, depuis plusieurs années, il avait eus à ce sujet avec Bismarck, mais il s’était trompé sur la valeur de certaines insinuations qu’il avait prises pour des promesses et même pour des engagements. Lorsqu’il réclama le prix de sa complaisance, de cette neutralité bienveillante qui, dégarnissant nos frontières de l’Est, avait permis à la Prusse de porter toutes ses forces en Bohême, on fit la sourde oreille. À ses demandes d’une compensation, on feignit de ne point comprendre et on le joua, lors de l’affaire de l’acquisition du Luxembourg.

Dans les questions soulevées à propos des suites de l’écrasement de l’Autriche et de l’accroissement de la Prusse, la diplomatie impériale fut maladroite et témoigna une mauvaise humeur qu’elle ne devait qu’à ses fausses prévisions et aux illusions qu’elle avait nourries. À mesure que le mécontentement du cabinet des Tuileries s’accentuait, que l’opinion publique s’aigrissait, la Prusse, c’est-à-dire Bismarck, modifiait son attitude, qui, conciliante au début, était devenue ironique et enfin arrogante. Tout en déclarant que l’on désirait vivre en paix avec la France, on lui démontrait de toutes manières que l’on ne serait point fâché de se mesurer avec elle et que l’on se tenait prêt à faire bon visage au combat.

Le plus grand dérèglement de l’esprit — a dit Bossuet — c’est de croire les choses parce que l’on veut qu’elles soient. Ce dérèglement de l’esprit, Napoléon III l’avait eu, lorsque les hostilités furent sur le point d’éclater entre Vienne et Berlin. Il avait cru à des rencontres indécises qui lui permettraient d’intervenir en pacificateur écouté ; il s’était imaginé que, si l’Autriche était écrasée, il obtiendrait une rectification de frontière vers le Rhin et que la Vénétie, acquise enfin à l’Italie, produirait l’apaisement dans la question romaine, toujours irritante et plus épineuse que jamais, car elle avait été posée au rebours du sens commun. Toutes ces espérances, dont le « dérèglement de l’esprit » faisait des certitudes, s’évanouirent au bruit des fanfares triomphales de Sadowa, et, comme pour mettre un comble à tant de visées fausses, on arrêta à Nikolsbourg la Prusse victorieuse qui marchait sur Vienne et qui fut ulcérée d’avoir à subir une intervention qu’elle n’avait pas réclamée. On prétend qu’après avoir